Emmanuel K. 03/11/2023

Mon quartier, c’est une cité ?

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C'est en tout cas le mot qu’une amie a employé pour qualifier le quartier d'Emmanuel. Depuis, il prend conscience de ce que ça signifie, d’avoir grandi ici : si tu es un garçon, tu es forcément suspect. De dealer, de « mal tourner ».

Avec mon pote, avant de se dire au revoir, on se cale devant la cité. Un mec pas net, visage tout pâle, s’approche de nous et me dit : 

«  Tu vends ? 

 Non !  » 

Il part. Je me tourne vers mon pote : « Tant pis, les Grands ont perdu un client. » Les gens nous jugent à notre apparence : paires de TN noires, joggings, sacoches… Pour nous, c’est un kiff tu vois ! Influences rap US, rap français, c’est juste comme ça que je m’habille. 

C’est vrai que chez moi, ça craint de ouf. C’est surtout l’ambiance. Je sais ce qui s’y passe. Genre, je connais les activités qui s’y déroulent : la vente de drogues, les vols à main armée, les rixes… Moi, j’ai toujours habité ici. Je connais les Grands de chez moi. Ils ont entre la vingtaine et la trentaine. On jouait ensemble quand on était petits. Au quartier, on est tous solidaires. On a tous été dans la même école. 

« Mais t’habites vraiment dans une cité ! » 

Dès l’entrée de la cité, tu vois des tags et tout. Tu sais que c’est ghetto. J’ai mis du temps à réaliser que j’habitais dans une cité. Pour moi, c’était une résidence comme une autre. Un jour, une pote de ma sœur qui habite un beau quartier est venue la voir chez nous. En arrivant, elle lui a dit : « Mais t’habites vraiment dans une cité ! » Son frère a eu peur en l’amenant, il lui a dit de faire attention. Ma sœur, elle s’en rendait pas compte. Elle était chez elle.

C’est surtout la nuit que ça se passe. C’est là que t’entends l’ambiance. J’habite au premier. Mon lit est collé à la fenêtre, du coup j’entends de ouf ce qu’il se passe dehors.

Il y a des Grands qui traînent en bas tout le temps. Même la nuit, j’entends des rires, ils sont sous ballon. Musique à fond sur l’enceinte. Tout le voisinage entend la même chose. Quand ils fument (en vrai je ne sais même pas dire ce qu’ils fument) et qu’ils se mettent sous ballon, ils ne se soucient pas de leur santé. Ils pensent qu’à l’instant présent. Quand tu les vois rire et crier, tu comprends qu’ils sont pas dans leur état normal. 

Petit, je traînais aussi en bas mais seulement pour jouer avec les voisins. C’était devenu une habitude. Quand on rentrait chez nous, on avait rien à faire. On pouvait regarder la télé, mais c’était lassant à force. Du coup, on descendait pour se retrouver et jouer au foot. Mais j’ai jamais basculé dans l’illégalité.

« Papa, tu me connais quand même ! »

Il y a pas longtemps, mon daron a cru que j’avais basculé. Il pensait ça parce que je recevais pas mal de colis « suspects » dans la semaine. Mais c’est parce que je suis dans le resell. Je fais du bénéfice par rapport à la valeur de l’objet que je vends. Genre des sneakers et des sappes, sur Vinted. 

Il se posait des questions. Il a fait le parallèle avec les activités des Grands. Il pensait que je parlais avec eux. Mon père, il a l’œil, il voit, il sait ce qu’il se passe. Quand il m’a dit ça, j’étais choqué. Je lui ai dit : « Papa, tu me connais quand même ! » Il en a parlé à mes frères et sœurs, et à ma mère. Ils m’ont tous défendu.

J’ai des principes et des valeurs, surtout par rapport à mon éducation. Chez moi on est chrétiens, je suis croyant, j’ai peur de Dieu. Je respecte ma mère et tout ce qu’elle a fait pour moi. Ce serait pas la remercier que de traîner en bas.

Après, il y a un côté positif. Si j’habitais pas ici, j’aurais pas la mentalité que j’ai aujourd’hui. Ça veut rien dire, mais je connais la valeur de l’argent. Le fait que chez nous ce soit la misère, t’as encore plus la déter de t’en sortir, et de partir. Pas de Paris, ni loin d’ici, mais changer de quartier. Malgré tout, je l’aime quand même, mon quartier, parce que ça fait partie de ce que je suis. 

Emmanuel, 20 ans, en formation, Paris

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