Elle ne me voyait pas comme un étranger
Je suis ivoirien. Je suis arrivé en France en octobre 2022, en compagnie de deux camarades dont j’avais fait la rencontre dans le désert, au Maroc. J’ai passé deux jours à la gare routière de Bercy. Ensuite, un agent de sécurité m’a accompagné au centre pour mineurs.
Lorsque je suis arrivé, j’étais dans une salle avec certains jeunes de mon âge. Je les entendais parler entre eux : « Peu importe notre détermination à vouloir expliquer notre parcours de façon détaillée, au final notre demande va être refusée. » Quand j’ai entendu ça, j’ai commencé à stresser et à avoir peur.
En sortant du centre, j’étais en larmes. Je venais d’apprendre que ma minorité avait été refusée. C’est à ce moment que je fais la connaissance d’une jeune fille, une renoi française. Elle s’approche de moi et me dit : « Je peux faire quelque chose pour vous ? Pourquoi tu es triste ? »
Je lui dis : « Non merci, c’est quand même gentil de votre part ». Et là, elle me répond : « Tu sais quoi ? C’est la deuxième fois de toute ma vie que je vois un homme pleurer. La première fois, c’était mon père et la deuxième c’est toi. Ça me rend énormément triste, à chaque fois que je vois un homme en larmes. Tu veux bien en parler ? Par exemple aller dans un café, un parc, un endroit où tu te sentiras à l’aise ? »
Ne pas dire qu’on est migrant
C’est comme ça qu’on s’est retrouvés ensemble, dans un café. Et là, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai tout expliqué. Quand je dis tout, c’est vraiment tout : ma vie au pays, pourquoi je suis parti de chez moi sans que mes parents soient au courant. Ma traversée de quatre jours en Méditerranée dans une pirogue, en passant par le Mali, la Mauritanie, le Maroc, l’Espagne, jusqu’à ce que j’arrive en France. Pourtant, on nous dit toujours de ne pas dire qu’on est migrant, par peur de se faire rapatrier dans notre pays.
Mon père avait perdu son travail, il a été indemnisé. Mais il a préféré garder l’argent pour rentrer au village et a arrêté de payer pour mon école. Pourtant, j’avais des rêves. Je suis resté avec mon cousin qui tenait un petit garage. Mais il m’a tout de suite prévenu : « Je n’ai pas les moyens de te scolariser ». Du coup, il m’a fait travailler avec lui pour ne pas que je traîne dehors. Finalement, mon oncle a décidé de partir parce qu’il avait des problèmes avec un homme puissant du pays. C’était devenu dangereux pour nous, je me suis fait frapper, j’ai même une cicatrice au visage.
Me confier pour la première fois
Après m’avoir écouté, elle a fondu en larmes, elle ne savait pas quoi dire. Elle m’a même demandé : « Pourquoi tu te confies à moi ? Tu n’as pas peur que je te dénonce ? ». Moi je me disais que je n’avais plus rien à perdre. J’étais comme un cabri mort comme on dit chez nous. Je lui ai dit que c’était fini, que je n’avais plus d’espoir. Elle m’a donné des conseils, m’a rassuré et m’a dit que je pouvais compter sur elle.
À la fin, elle m’a pris dans ses bras. C’est cette affection que je recherchais depuis le début. C’était vraiment comme si on venait de décharger un poids, j’étais soulagé, j’étais à nouveau léger. Depuis le Maroc, j’ai vécu des choses difficiles. Tout ce que je voulais, c’était que ma mère me prenne dans ses bras, qu’elle me dise « Mon fils, ça va aller ! ».
Et puis, je me suis dit « Enfin, il y a quelqu’un en France sur qui je peux compter, quelqu’un à qui je peux parler sans retenue » Ça m’a vraiment réconforté mais de ouf quoi ! C’était la première fois, depuis longtemps, que je me confiais à quelqu’un.
Pas de la pitié, de la compassion
Elle m’a vraiment montré que j’étais important. Elle aussi partageait ses problèmes au travail, avec ses collègues, avec sa famille, ses inquiétudes… C’était réciproque.
Jusque là, quand je partageais mon vécu, ce n’était qu’avec des gens qui étaient dans la même situation que moi, qui avaient aussi eu leur demandes refusées. En parler à quelqu’un qui n’était pas concerné, ça m’a fait plaisir parce que cela voulait dire qu’elle s’intéressait vraiment à moi. C’était la première fois qu’on me parlait comme une personne normale, et pas juste comme un migrant.
Après ça, on est restés en contact. On a échangé nos numéros, on parlait chaque nuit. On essayait de se motiver : elle me disait qu’elle était là pour moi si j’avais besoin d’un truc. À chaque fois, elle m’appelait, elle me proposait que l’on dîne ensemble. On est déjà parti manger au resto sur Paris. Elle m’a même offert une montre.
On est tombé amoureux, on est sortis ensemble. Malheureusement, c’est compliqué en ce moment, parce qu’avant de me connaître, elle avait quelqu’un d’autre dans sa vie. Avec cette fille, j’ai vraiment rencontré quelqu’un qui essaye de se mettre à ma place, c’est différent. Ce n’est pas de la pitié, c’est de la compassion.
Levesse, 17 ans, Paris