Clémence B. 11/07/2020

Dans mon lycée catho, fallait cocher la case hétéro

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Au lycée catholique, la pression et les réflexions homophobes ont privé Clémence de sa liberté. Jusqu'au jour où elle a balayé les moqueries.

En terminale, dans mon lycée catholique, on a eu une conférence. C’était en 2013, l’époque du changement. M. François Hollande offrait un nouveau droit aux homosexuels, celui de se marier. Le lycée a fait venir un médecin « spécialiste du problème » pour nous INCITER au « débat » sur l’homosexualité (entre guillemets parce qu’il n’y a pas eu de débat). Là où j’ai fait ma scolarité, c’était tout le temps comme ça.

Certains se permettaient de juger qui j’étais et ma valeur au regard de ma supposée orientation sexuelle. Longtemps, j’ai eu peur d’être prise pour ce que je ne suis pas : une lesbienne. Une fille devait avoir un comportement dit « féminin », être douce, fragile, peu sportive, et les garçons devaient déjà avoir couché ou être en couple avec une fille pour éviter que les autres ne commencent à se poser des questions.

Toute cette pression autour de mes préférences sexuelles m’a poussée à renoncer à certaines libertés comme éviter de porter certains vêtements qui pouvaient être jugés trop gay. Ce n’est qu’un exemple parmi les concessions que j’ai faites pour éviter l’embarras, la moquerie, le poison des rumeurs.

Pour ce « médecin », l’homosexualité serait contre-nature

Lors de cette conférence, une centaine d’élèves étaient entassés dans un amphithéâtre devant un homme qui, sans surprise, a tenu des propos immondes sur l’homosexualité. Les homosexuels seraient des personnes avec des problèmes psychologiques qui chercheraient à corrompre la jeunesse pour qu’elle devienne à son tour gay, l’homosexualité serait contre-nature… Tout un discours enrobé d’une oration pleine d’humour et de mots bien choisis pour que cela pénètre parfaitement dans l’esprit des lycéens influençables que nous étions. Ce type le disait d’une façon bien trouvée pour cacher toute trace d’incitation à la haine et à l’isolement des personnes LGBT.

Camille Regache revient dans son podcast éponyme sur la pression à l’hétéronormativité à l’école. Elle explique ses conséquences sur le psychique des élèves en tendant le micro à la sociologue Gabrielle Richard.

 

Il nous a expliqué que, dans son service, il avait reçu un jeune qui avait fait une tentative de suicide parce que son père, homosexuel, voulait absolument l’obliger à être homo à son tour, parce que c’était super bien de l’être ! Même avec mon jeune âge, pour moi c’était soit du mytho, soit un cas isolé de personne ayant besoin de soins psychologiques et absolument pas représentative de la communauté LGBT !

Il proposa à la fin que tout le monde écrivent la question qu’il désirait sur un morceau de papier. Alors, je me suis levée et j’ai dit :

« Monsieur, je suis prête à poser ma question devant tout le monde sans un papier pour me cacher. Regardez tous ces enfants qui sont devant vous. Il y a de grandes chances qu’il y ait, dans cette centaine d’élèves, certains dont l’orientation sexuelle est incertaine. D’autres sont déjà sûrs de ce qu’ils sont, peut-être n’est-ce pas en accord avec la normalité que vous êtes venu nous prôner aujourd’hui. Oui, il y a des homosexuels parmis nous, des lesbiennes. C’est même certain. Et parmi les gens que nous côtoyons et que nous aimons. Peut-être un frère, une sœur, un oncle, une tante… Alors regardez-nous monsieur et dites-nous, à tous, à quel point la vie d’un homo a moins de valeur que celle d’un hétéro, dites-nous qu’ils doivent rester cachés, voire ne plus exister. Car c’est bien ce que vous vouliez nous dire, n’est-ce pas ? Dites à ceux qui sont encore incertains de « choisir » la normalité, quitte à être malheureux, juste pour satisfaire ceux qui se mêlent des affaires des autres. Ma question ? N’avez-vous pas honte de transmettre cette haine et cette peur injustifiée à des enfants malléables ?! »

Ah ! C’est beau ça ! Seulement, ce n’est pas vrai, je n’ai jamais dit ça. Je me suis contentée de rester silencieuse. Cette répartie, je ne l’avais pas à l’époque et les adultes m’inspiraient encore le respect.

Et il y a pire dans cette histoire : nous n’étions qu’entre terminales dans cette session. Il y avait d’autres sessions pour les autres niveaux, même au collège, avec un discours adapté pour chaque âge…

Sa copine ? C’était un homme sur la photo

Quelques semaines après cet abominable cauchemar, j’avais un devoir d’anglais en groupe. Il s’agissait d’écrire et de jouer une scène entre des parents et leur enfant. J’étais avec une fille et un garçon. J’ai proposé, vu que nous étions plus à l’aise dans ces personnages, que ma camarade et moi, nous jouions respectivement mère et père. La fille s’est tourné vers moi et m’a demandé si j’étais lesbienne. Je lui ai répondu non, et elle m’a à nouveau posé cette question : est-ce que tu es lesbienne ? J’ai soufflé d’énervement et voilà ce que j’ai dit :

« Au pire, qu’est-ce que ça peut te foutre ?! C’est un rôle, un PUTAIN de rôle ! T’as peur de quoi ? Que je te mette des doigts devant tout le monde pendant qu’on fait notre oral ?! T’inquiètes, t’es pas mon genre, les homophobes ça m’excite pas ! J’ai plus en tête l’envie d’avoir une bonne note et que chacun d’entre nous soit dans le rôle qui lui correspond le plus ! Pas de chance, je joue mieux le père que le mec qui est avec nous ! »

HAHAHA ! Je vous ai encore eu ! Non, je n’ai pas dit ça. Je me suis aplatie comme une crêpe en soutenant que je n’étais pas lesbienne et je me suis contrainte à jouer le rôle du gosse… On n’a pas eu une note excellente en interprétation pour ceux qui se posent la question…

Et puis il y a eu mon ami Lucas. Il me parlait souvent de sa copine, sans jamais me montrer une photo ou me donner un nom. Je pensais que, peut-être, elle n’existait pas. Puis, un jour en permanence, il m’a dit qu’il voulait me montrer une photo de sa copine. Il a glissé son téléphone sous la table : c’était un homme sur la photo. Je lui ai demandé pourquoi il m’avait caché ça toute l’année ! Il voulait éviter les moqueries, les potentielles agressions et préférait garder le silence. Il partait jusqu’à Paris pour voir son copain et être sûr de ne croiser personne qu’il connaisse. J’ai trouvé ça d’une tristesse absolue…

Ma première liberté : jouer Orphée

Et puis, un jour, je me suis inscrite à un cours d’art dramatique. Nous devions présenter Eurydice de Jean Anouilh. Nous n’étions que des filles, il y avait trois rôles : Orphée, Eurydice et la mort. Aucune ne voulait jouer Orphée et nous allions faire appel au partenaire de notre professeure pour prendre le rôle. Mais, après tout ce que m’avait révélé Lucas, j’en ai eu marre de me priver moi aussi. Voilà la première liberté que j’ai prise : jouer Orphée. Inutile de dire que la réaction des filles a été moqueuse, mais je m’en fichais. J’ai répété comme jamais je n’ai répété, jusqu’à ce que le jour de la représentation arrive.

Parents, élèves et enseignants étaient là. Juste avant de monter sur scène, j’étais en coulisse avec les autres filles et leurs moqueries ne s’étaient pas apaisées, même en ce jour fatidique. Les Eurydice étaient entre elles. Moi, j’étais dans mon coin et je me suis dit qu’il fallait que je reste déterminée et que je devais me servir de cette rage au fond de moi pour être la meilleure. J’ai donné tout ce que j’avais. Je me sentais tellement Orphée que j’avais l’impression de ressentir sa douleur d’avoir à nouveau perdu Eurydice en un regard. Puis, la fin a sonné et… je fus bien récompensée ! Une grande partie du public est venue vers moi pour me féliciter de ma prestation. J’étais aux anges et c’était à mon tour de regarder les Eurydice d’un air taquin. Je ne vis alors dans leurs yeux que de la jalousie de me voir entourée de gens admiratifs. Et j’ai aimé ça, OH YEAH !

Swen a subit du harcèlement au collège à cause de sa potentielle homosexualité. Victime d’homophobie, il a dû changer de collège.

Capture d'écran de l'article "Victime d'homophobie, j'ai dû changer de collège" illustré par une photo : jeune homme assis sur des escaliers qui ont des couleurs différentes.

Peu importe qui je suis et mon orientation sexuelle, cela ne regarde que moi. Quant à Lucas, je l’ai un peu perdu de vue depuis nos années lycée mais je l’ai revu récemment : il est toujours avec son copain et je leur souhaite tout le bonheur que méritent les gens qui s’aiment, peu importe d’où ils viennent, leur croyance, leur identité ou leur orientation. Merci Lucas pour tout ce que tu m’as appris et fait comprendre : c’est en partie grâce à toi que j’ai pu commencer à écrire mon histoire de femme libre.

Clémence, 25 ans, salariée, Rambouillet

Crédit photo Unsplash // CC KAL VISUALS

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1 réaction

  1. Très bonne histoire qui prouve que vivre sa vie comme on l’entend finit toujours par être positif !

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