#EtudiantsFantomes : ne plus voir les gens, ça me tue
J’ai organisé une soirée « en petit comité » avec des étudiants de mon âge en janvier. Avant ma petite soirée, j’étais effrayée. J’ai lancé les invitations via le groupe de ma promo, j’avais peur de me faire envoyer balader, qu’on m’accuse de prendre le virus à la légère, mais j’avais espoir que quelqu’un soit sur la même longueur d’onde que moi. C’est ainsi que j’ai reçu quatre personnes que je ne connaissais pas chez moi et qui, entre elles, ne s’étaient jamais vues non plus. Après six mois, on a partagé notre histoire. Le mouvement #etudiantsfantomes est alors devenu significatif. J’ai compris que je n’étais pas devenue folle : ce que je ressentais, d’autres le ressentaient aussi.
#EtudiantsFantomes : je me suis déscolarisée toute seule
Lors du second confinement, les cours sont passés totalement en distanciel, comme pendant le premier en L1. Pour ma deuxième année de LEA à Lille, désorientée mais déterminée, je me suis déscolarisée toute seule : déjà, je ne me connectais plus au cours du matin car je ne dormais plus. J’assistais parfois à ceux de l’après-midi, ou seulement à « ceux qui attisaient ma curiosité ». Sur Twitter, les étudiants semblaient crouler sous le travail et ne sortaient plus, tandis que moi, je luttais pour ma survie en sortant chaque jour, en fréquentant des gens plus âgés qui travaillaient, pour me redynamiser et me garder sur pieds, et sur Terre. Pour oublier qui j’étais. Parce que ça ne voulait rien dire d’être étudiante, en cette période, si ce n’est inspirer la misère.
À Lille, pendant la période de Noël, tout était miséreux. Des colis ont été distribués aux étudiants précaires. Nous n’avions plus aucun autre avantage, nous étions totalement seuls. Je faisais partie de ces étudiants précaires mais, même si j’en avais un peu honte, cette démarche a été la première à me donner la sensation de ne pas être oubliée, d’être considérée.
Décrochage scolaire, isolement, dépression, précarité… Sur Twitter, des milliers d’étudiant.e.s partagent leur détresse face à la crise sanitaire avec le hashtag #EtudiantsFantomes.
En lisant les premiers témoignages d’étudiants, j’ai tenté de me sentir « privilégiée ». Mon appartement n’était pas si petit, par exemple. Mais apprendre des langues en LEA, à distance, ça n’a aucun sens. En tant qu’étudiants, nous ne sommes pas rémunérés, et ce qui nous donne envie d’apprendre, c’est le partage. La vie étudiante qui va avec les études, le privilège d’avoir un pied dans le monde du travail et un autre encore à l’école.
À quelle heure vais-je trouver le courage de me laver, de me faire à manger ?
Alors, je ne quitte pas les réseaux de la journée. En d’autres temps, c’était parce que j’aimais ça : ce magma d’informations et de tentations sur Instagram, les débats sur Twitter, les articles sur Facebook. Maintenant, c’est parce que ça me donne l’illusion d’être moins seule. Tous les plaisirs que j’avais avant, en solitaire, sont devenus malsains : les cigarettes, le téléphone, les séries, les bains. Tout ça pour me sentir bien tout en ne voyant personne de la journée. Avant, j’avais des rêves, des objectifs. Maintenant, je n’ai plus que des regrets lorsque j’éteins mon téléphone et mon ordinateur une fois pour toutes, vers deux heures du matin. Un mélange de pensées négatives concernant mon passé, mes choix… Tout est soudainement susceptible d’être analysé.
Mon champ de vision semble bouché. Mes perspectives d’avenir d’une part, mais aussi le fait de ne plus voir le visage des gens. Ça me tue. C’est comme si toutes les phrases que je peux entendre autour de moi sont devenues prévisibles, les heures s’enchaînent et je m’abrutis en sachant que, demain, il va falloir refaire l’effort d’être créative pour tenir la journée : à quelle heure vais-je trouver le courage de me laver, de me faire à manger ? Mon colocataire quitte l’appartement à 7 heures pour travailler, tandis que je me lève à midi, seule et dépassée par mon propre train de vie.
Je m’éteins, moi et tellement d’autres jeunes
Et puis je me suis demandée : pourquoi le hashtag #etudiantsfantomes ? Pourquoi d’un coup, on se mettrait à parler de nous, alors que tout le monde semble touché par ce virus ? Parce que nous n’avons plus vraiment d’espoir, et de raisons d’en avoir. Nos années universitaires d’insouciance et d’expériences ne reviendront pas, et nous n’avons pas les moyens (ni physiques ni psychologiques) de nous dédoubler et de devenir quelqu’un d’autre que ce que nous sommes. Nous sommes en prison dans tous les sens du terme.
Dernièrement, je me suis mise à penser très fort : « J’aimerais tellement trouver un travail. » Et bien sûr, je ne trouve pas, je n’ai jamais eu de réponse. Le peu d’emplois étudiants dans ma ville sont déjà tous occupés. Et c’est si triste de se dire qu’aujourd’hui, la seule chose que je puisse envier, ce sont ceux qui travaillent, qui continuent de subvenir à leurs besoins, tandis que je m’éteins, moi et tellement d’autres jeunes.
En commençant les études supérieures, Maxine espérait pouvoir profiter de sa nouvelle vie d’étudiante. Mais le Covid a tout gâché, et le confinement et les cours en distanciel ont eu un impact sur sa santé mentale.
J’ai renoncé à blâmer Castex, la Chine, les universités… C’est sans doute pour ça que j’ai mis du temps à réaliser mon mal-être. Chacun est dépassé, chacun fait ce qu’il peut. Bientôt, on pourra aller un jour par semaine à l’université ; Macron a vraiment fait les choses bien. Je m’accroche à toutes ces mesures qui sont prises, j’ai hâte et j’ai la sensation que les choses bougent enfin.
N’oubliez personne, c’est tout. Individuellement parlant, et collectivement parlant. N’oubliez pas de soutenir ceux qui souffrent, et n’oubliez pas que vous n’êtes pas les seuls à souffrir.
Aline, 20 ans, étudiante, Lille
Crédit photo Unsplash // CC Isabella and Louisa Fischer
Montage La ZEP
Je ne suis pas sûre que beaucoup de personnes soient vraiment conscientes du marasme des étudiants ! Je suis de tout cœur avec toi,ma petite fille chérie !