5/7 Le parloir c’est frustrant, surtout pour mes enfants
C’était un samedi je me souviens. Un samedi à 14 h 30 : mon premier parloir. Je prends une douche et je me fais le plus beau possible pour plaire et rassurer ma famille. On ne fait pas le reste de la semaine. Il faut mentir un peu pour ne pas les accabler plus. C’est important pour mon moral et pour le leur.
À l’époque, j’étais en maison d’arrêt. Ces établissements réservés aux détenus en attente de jugement ou avec des courtes peines. Moi, au début de ma longue peine, j’y ai passé six ans et demi. Ici, le maintien des liens familiaux est extrêmement difficile car les parloirs sont courts. Une demi-heure seulement. C’est le moment de la détention le plus dur car l’on vient seulement d’être séparé de ceux qu’on aime.
Ce samedi, je quitte ma cellule à 13 heures. Il faut passer à la fouille. J’attends pendant plus d’une heure dans une salle, avant de retrouver enfin les miens. Une demi-heure seulement et ils ont galéré autant que moi, voire plus. Les parloirs sont alignés dans une grande pièce, côte à côte. Niveau intimité on fait mieux ! À l’intérieur, un muret me sépare de ma famille. On tolère à peine que je puisse prendre mes enfants dans mes bras.
Trente minutes de parloir c’était « à peine rentrée, déjà sortie »
Cela faisait trois semaines que je n’avais pas vu mes enfants, dont je ne me séparais jamais plus de quelques heures avant d’être incarcéré. À cause du délai d’attente pour le droit de visite.
Comment se déroule les parloirs ? Quel impact ont-ils sur les proches des détenu·e·s ? Le quatrième épisode du podcast Le Système de Slate porte sur le difficile maintien du lien entre les personnes incarcérées et leur entourage.
Que pouvais-je dire à mes enfants âgés de seulement un et cinq ans ? Pour ma fille, une demi-heure de temps c’était « à peine rentrée, déjà sortie ». Et il faut partager le temps entre eux deux, un quart d’heure chacun. De là, s’amuser, se renseigner sur la semaine et essayer de lui expliquer la situation. Mission impossible.
Le parloir qui devait resserrer nos liens et nous aider à passer un bon moment s’avérait en vérité destructeur. Ça se terminait toujours en pleurs et ça me stressait. Avec ma mère ou ma femme, les mots étaient suffisants mais avec mes enfants c’est différent. Je m’en apercevrai plus tard lors mon transfert en maison centrale. En attendant, il me faut plus d’une heure après être repassé à la fouille pour regagner ma cellule et me morfondre.
Les UVF m’ont aidé à raffermir les liens avec mes enfants
En 2012, mon jugement est passé. J’ai été transféré à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré où le régime carcéral est complètement différent. Surtout les parloirs ! Mon premier, je l’ai attendu quinze jours à cause des 500 kilomètres qui me séparaient de ma famille… Mais quel contraste avec celui de la maison d’arrêt ! On y a droit de 8 heures à 11 h 30 et de 14 à 18 heures. L’après-midi, ça a lieu dans des salles privées sans bruit. Il y a même une aire de jeux pour les enfants, des tirettes à boisson et de quoi manger. Mes enfants étaient aux anges. Mais le MUST, ce sont les unités de vie familiale (UVF).
Un jardin, un salon, deux chambres où ma famille pouvait passer jusqu’à trois jours avec moi. J’en ai profité régulièrement. On y avait accès tous les deux mois. Ça a vraiment aidé à raffermir les liens avec mes enfants. Ça m’a permis de les voir grandir et d’attendre moins durement ma libération. J’ai décidé de ne les voir qu’ici. On faisait des jeux de société, du sport dans le jardin, on préparait à manger et on dînait ensemble. On passait d’agréables soirées et ils s’endormaient dans mes bras. Quel bonheur ! Et quel plaisir de les voir au matin, de leur faire leur petit-déjeuner et d’être réveillé par des câlins. La séparation était dure mais on savait qu’on se reverrait dans les mêmes conditions deux mois plus tard. Et j’ai pu plus facilement leur expliquer cette privation de liberté.
6/7 – La prison a été un déclic pour Raphaël. En travaillant sur lui-même en thérapie, il appréhende désormais différemment sa sortie et sa nouvelle vie.
On a fonctionné comme ça jusqu’en 2017, date de mon départ pour le centre de détention de Melun. Ma fille était alors âgée de 16 ans et mon fils de 11. Je peux aujourd’hui dire que je connais bien le caractère de chacun d’eux, leurs goûts et hobbies, Grâce à ces UVF. Ça a tout changé et adouci ma détention.
Ahmed, 49 ans, en détention, Île-de-France
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)