En arrivant en France, je suis devenue noire
« Deux par deux les amoureux et les gens heureux ! » J’entends encore cette phrase de notre maîtresse d’école pour nous mettre en rang. Un midi, avant d’aller à la cantine, une de mes camarades de classe m’a dit qu’elle ne souhaitait pas se ranger avec moi. Simplement parce que la couleur de ma main était noire, différente de la sienne. Confuse, je me suis questionnée sur la raison de ce rejet. Aussi insignifiant qu’il puisse paraître, cet événement a pourtant marqué le début d’une remise en question.
Ce jour-là, je suis devenue celle que je n’avais jamais vue auparavant. Je n’étais plus simplement Maya, une jeune fille malgache de 6 ans. J’étais devenue différente à travers leurs yeux, au-delà de ce que les miens pouvaient percevoir. À 6 ans, je suis devenue noire.
« Couleur café, que j’aime ta couleur café ! »
Je suis née à Antananarivo, capitale de Madagascar, aussi connue sous le nom de « l’île rouge ». J’ai débuté ma scolarité à l’école primaire française d’Ampefiloha, où j’ai grandi dans la diversité culturelle. À vrai dire, je ne m’étais jamais interrogée sur de possibles différences entre mes camarades et moi. À mes yeux, ces différences n’existaient pas. Le fait de côtoyer des personnes d’origines différentes dès mon plus jeune âge a façonné mon regard et ma tolérance face au monde qui m’entoure.
Afin de nous offrir, à mes frères et moi, une meilleure qualité de vie, mes parents ont décidé que nous allions déménager en France. Petite, j’ignorais tout de ce pays. J’imaginais la France comme étant une île semblable à celle où j’étais née. Je rêvais de Paris avec sa tour Eiffel, entourée par la Seine. La réalité fut toute autre. J’avais 5 ans lorsque nous avons posé nos bagages sur le sol français, loin des zébus et des rizières à perte de vue.
À l’école, ma présence intriguait certains de mes camarades. Il faut dire que nous avons toujours vécu dans de petits villages où notre existence passait rarement inaperçue. J’ai encore le souvenir de leurs questions incessantes sur ma vie d’avant. Habitions-nous dans une case ? Vivions-nous avec des lions ? Avions-nous l’électricité ?
Je me remémore ces récréations où des enfants m’encerclaient en fredonnant « couleur café, que j’aime ta couleur café ! ». Rapidement, j’ai intégré le fait qu’au-delà de la curiosité que cela pouvait susciter, ma couleur noire pouvait être un critère de différenciation. Parfois, cette différence pouvait engendrer de la discrimination.
Fuir le soleil pour éviter de bronzer
Pour compenser un profond mal-être, j’ai commencé à éviter toute exposition au soleil. Pour moi, ma couleur de peau en l’état me causait suffisamment de tort pour ne pas vouloir aggraver ma situation avec une carnation plus foncée. J’ai donc élaboré des stratégies pour ne pas foncer davantage et conserver ma « couleur café ».
Mes copines du collège se souviennent sûrement de ces midis où, au lieu de bronzer comme elles, je me noyais sous des couches de vêtements. Aussi, je me rappelle ces après-midi à la plage où je restais sous ma serviette, fuyant chaque rayon de soleil comme la peste. Ces comportements me paraissaient d’une grande cohérence. En dépit de mes efforts, il m’est plusieurs fois arrivé de noircir malgré tout. Il était alors pour moi impensable de laisser ma peau telle quelle, noire, sans faire l’usage de techniques de blanchiment. En me voyant tester ces pratiques quelque peu douteuses, mon grand frère m’a même surnommée « Michael Jackson ».
Noire et étrangère à mon propre pays
La perception négative de ma peau a conditionné mes relations aux autres. J’ai cru pendant longtemps que si ma propre couleur de peau pouvait causer problème, alors je n’avais aucun intérêt à fréquenter des personnes du même teint. Mon raisonnement était en totale dissonance puisque je voulais m’intégrer en me sentant « comme les autres » tout en rejetant moi-même mes semblables. Sans m’en rendre compte, je ne faisais que donner raison à ces préjugés en m’éloignant de mes racines. En plus d’être une étrangère au sein de mon pays d’accueil, j’avais fini par devenir une étrangère à mon propre pays. Malgré moi, j’étais presque devenue une vazaha (mot malgache qui désigne les étrangers non-malgaches qui sont d’origine européenne).
Toutes ces idées peuvent vous paraître absurdes et sans aucun doute, elles le sont. À mon plus grand regret, ce sont les pensées qui m’ont réellement habitée pendant des années.
En chemin vers l’acceptation
Aujourd’hui, la petite Maya de 6 ans a fait du chemin. J’ai décidé de reconsidérer ce que je percevais comme une faiblesse et d’en faire une force. Certes, il m’est toujours inenvisageable de passer des après-midis à lézarder au soleil. Néanmoins, j’ai appris à accepter cette couleur qui fait ma singularité, que je le veuille ou non. Je rejette désormais l’entièreté de ces idées qui m’ont torturé l’esprit et qui ont longtemps rythmé mon quotidien.
Toute sa vie, on a demandé à Cathy d’où elle venait. Française et métissée, elle a eu du mal à trouver sa place.
Si le contexte sanitaire me le permet, je m’envole cet été pour Madagascar. Après treize ans passés loin de mon pays, ce sera pour moi l’occasion de renouer avec cette identité que j’ai tant cherché à fuir.
Maya, 23 ans, en service civique, Lyon
Crédit photo Unsplash // CC Oladimeji Odunsi
Pourquoi il faut parler du racisme avec les enfants
Parce que tous les milieux ne sont pas mixtes
L’enfant perçoit le monde à travers son environnement, et à tendance à préférer les visages qui ressemblent à ceux qu’il·elle connait déjà. S’il n’y a pas de mixité autour de lui, il faut lui en parler pour normaliser les minorités.
Parce qu’ils·elles intègrent le racisme ordinaire
À partir du moment où des insultes racistes ne sont pas proférées dans une famille, les parents ont tendance à considérer qu’il n’y a pas de problème. Ils·elles n’en parlent pas. C’est pourtant le racisme ordinaire qui entretient les préjugés : c’est dès l’enfance qu’il faut le déconstruire.
Parce qu’ils·elles iront chercher l’info
Les enfants n’ont pas peur de poser les questions, et si leurs parents sont gênés d’y répondre, ils·elles iront chercher les réponses ailleurs (autre adulte, dessins animés, livres etc.) Pour éviter qu’un·e enfant reproduise des formes de racisme, il ne faut pas avoir peur d’en parler.