2/4 À 800 km de son père et de ses amies
Paris, c’est mon quotidien et je le consacre à l’école. Marseille, c’est les vacances et la famille l’été. Aujourd’hui, je ne suis plus triste quand je quitte Marseille pour remonter à Paris. Je me dis que, dans pas longtemps, je vais pouvoir descendre. J’ai 16 ans. J’ai grandi et appris.
Ma vie s’est brisée en deux parties fin 2018. Mon corps à Clichy, mon cœur à Marseille. Jamais je n’aurais cru changer de ville du jour au lendemain. Jamais je n’aurais cru apprendre le divorce de mes parents non plus.
J’ai 11 ans quand ils décident de divorcer. Je suis en dernière année de primaire, à Marseille. Avec ma mère et ma sœur, on s’installe à Clichy. C’est là que je fais ma rentrée en sixième. Je me sens perdue. Je n’ai pas de copine.
Jusqu’à la fin de ma troisième, je ne vois pas mon père. Je ne descends plus à Marseille. Je n’ai plus aucun contact. Il a changé de numéro. Au fil du temps, je m’habitue. Je ne ressens pas la douleur, juste comme un vide en moi. À ce moment-là, je crois avoir perdu mon père pour toute la vie.
La première fois que je décide d’aller le voir à Marseille, avec ma sœur, c’est pendant l’été 2023, juste après mon brevet. Je demande à ma mère de nous prendre les billets de train. Elle accepte. Le jour J, elle nous accompagne à la gare de Lyon. Nous prenons le train seules. Mon père ne sait pas que nous venons.
Haine et joie
Toutes les émotions se mélangent en moi. La haine, parce que mon père n’a pas cherché tant que ça à voir ses filles. La joie, parce que mon père est drôle, à l’écoute et qu’il nous fait confiance à ma sœur et moi. Il nous laisse profiter. Je l’aime trop.
Arrivées à Marseille, on dépose nos valises chez notre tante qui habite pas très loin de chez lui. Puis, on se met en chemin. Sous sa fenêtre, ma sœur et moi crions : « Papa, papaaaa, papaaaaaaaaaaa. » Il dort. On insiste. D’un coup, les volets de la fenêtre s’ouvrent. Mon cœur s’arrête. Tous mes sentiments et ceux de ma sœur se chamboulent. Mon père descend pour nous ouvrir. Il nous sert fort dans ses bras. Mon père, ma sœur et moi commençons à pleurer. Je ne sais pas si c’est de joie ou de tristesse, parce que le manque m’a fait énormément de mal.
Cet été-là, mon père nous répète très souvent qu’on lui a manqué. Je suis super heureuse. Malgré la distance, mes proches me portent toujours autant dans leur cœur. Comme moi je les ai dans le mien. Personne ne m’a oubliée.
On passe un été incroyable. Je revois ma ville d’enfance, celle où je suis née, et je repars dans mon quartier. Je passe des moments merveilleux avec mes proches et mon père. Je vais à la plage avec mon père. Il travaille dans un grec, donc tous les jours il nous fait à manger, à ma sœur et moi. Ensuite, je retrouve toutes mes copines d’enfance.
Impossible deuil
Après deux mois entiers à Marseille, le malheur de remonter sur Paris arrive. Malgré tout, je suis heureuse de retrouver ma mère. Une fois à Paris, je ressens un gros manque d’affection. Mon père, mes copines Maïssa et Inès me manquent tellement. J’ai comme l’impression d’avoir perdu goût à la vie. Je ne sors plus. Je ne me sens plus moi-même. Une sorte de dépression s’installe en moi. Je m’isole énormément dans ma chambre. Ma mère me le reproche très souvent.
Je n’ai pas fait le « deuil » du couple formé par mes parents. Ma ville, mes copines, mes proches me manquent et je veux être proche d’eux. Mais j’ai honte de le dire à ma mère parce qu’elle a toujours été là et a toujours tout fait pour moi. Je suis reconnaissante envers ma mère et je l’aime d’amour.
Maintenant, ce n’est plus un sujet tabou. Avant chaque vacances, ma mère nous demande d’elle-même si nous avons envie de partir à Marseille. Ma sœur et moi descendons régulièrement pendant les vacances, surtout celles d’été. Au moment où j’écris ce texte, je suis heureuse : dans deux semaines, je pars à Marseille. J’ai trop hâte.
Ritège, 16 ans, lycéenne, Clichy
Illustration © Camila Plate
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