Léa B. 27/06/2022

1/5 Abandonnés par notre mère

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Sans père ni mère, Léa veille sur son frère et ses sœurs au quotidien. Sa fratrie est devenue son pilier depuis qu'ils vivent en foyer.

J’ai été abandonnée par ma mère à l’âge de 11 ans. Un âge où on commence seulement à comprendre les choses de la vie. À l’époque, je n’arrivais pas à mettre de mots dessus. Peut-être parce que j’étais encore trop jeune.

D’abord, le décès de notre père, de façon brutale, puis cet abandon. De cette famille, il ne reste plus que nous. Il ne reste plus que notre fratrie.

Le problème, c’était nous

Le plus dur à supporter, c’était de voir mon frère et mes sœurs malheureux, sans que je ne puisse rien faire. À l’époque, ma plus grande sœur était âgée de 13 ans, l’autre de 10, mon petit frère de 5, et moi de 11. Nous avons été placés en foyer, dans différents groupes en fonction de notre âge.

Au vu des circonstances, on peut dire qu’il n’y avait pas d’alternative.

Mon père avait le cancer du pancréas. Souvent, on allait le voir à l’hôpital. Il était sous perfusion et souffrait beaucoup. À sa sortie, ma mère lui a annoncé la fin de leur relation. Mon père n’avait pas d’endroit où dormir, donc un ami proche l’a hébergé.

Peu de temps après, ma mère s’est permis de refaire sa vie avec un autre. Elle partait souvent le voir en Tunisie et s’est même mariée. Elle nous laissait seuls à la maison pendant plusieurs jours. Bien sûr, on avait interdiction de sortir et nous étions très mal nourris, voire pas du tout.

Au foyer, ma mère leur a dit avoir des problèmes d’argent. Au fond, je sais que la raison de ce placement n’était pas ça. Elle voulait juste refaire sa vie. Mais sans nous. Le problème, c’était nous.

J’étais impuissante

Mes relations étaient très compliquées avec elle. Elle est devenue très violente. Elle nous frappait. Le dialogue n’existait plus, le quotidien n’était que violence. Je n’ai pas de bons souvenirs quand je pense à elle. Tout ce qui me vient, ce sont les images des violences qu’on a endurées. Comme ce jour où ma sœur s’est pris plusieurs coups sur la tête et a fini gravement blessée. J’étais là, je ne pouvais rien faire, impuissante, je me sentais très mal. Finalement, c’est ma sœur qui s’est excusée auprès de ma mère.

L’aide sociale avait conscience des risques que l’on encourait en restant chez elle. On a donc été placés en foyer d’accueil. Ce placement s’est déroulé si brutalement que ça nous a laissés sous le choc, et dans l’incompréhension totale.

Notre force, c’est notre fratrie

L’entretien avec les agents s’est déroulé en présence de ma mère. C’était la seule qui parlait et qui était interrogée. Pas nous. Pas moi. Mais elle. C’est comme si je n’existais pas. Comme si j’étais invisible. À aucun moment, on ne nous a demandé notre avis. On n’a pas eu notre mot à dire. Ma mère pleurait alors qu’elle était la seule responsable. Elle a d’emblée dit aux agents : « Si vous ne les prenez pas, je les laisse seuls à la maison, sans nourriture et je pars ! » 

Nous avons rejoint le foyer le jour même, juste après ce rendez-vous. Quand j’ai compris que je resterai là-bas, il y a eu de la colère contre ma mère. Puis, la haine s’est transformée en dégoût. Mais l’aide sociale ne nous a pas séparés avec mes sœurs et mon frère. Alors maintenant, ce qui fait notre force, c’est notre fratrie.

Cacher mes faiblesses

Au foyer, beaucoup de personnes sont là pour nous aider dans notre quotidien, même si elles ne peuvent pas tout comprendre. Parfois, ce n’est pas simple, car j’ai l’impression de ne pas être comme tout le monde, pas comme ceux qui ont encore leurs parents avec eux.

Les éducatrices essaient de se mettre à notre place, mais elles ne peuvent pas, en vérité… Elles ont beaucoup de mal à m’aider. Je cache mes émotions pour cacher mes faiblesses. La chose la plus compliquée à gérer, c’est de ne pas avoir de parents présents. Je multiplie les conneries : je fugue et je picole jusqu’à l’ivresse pour me sentir libre et oublier mes problèmes. Je me fais du mal jusqu’à épuisement. Encore maintenant.

Plus de contact avec elle

Aucun de nous ne pensait que ma mère serait capable de sacrifier ses enfants pour son nouveau mec. Elle nous répétait souvent : « Vous êtes en bas et, lui, il est au-dessus ! » Aujourd’hui, je me demande encore pourquoi elle a réagi ainsi. Je pense que le rôle d’une mère n’est pas de sacrifier ses enfants pour son mari. Nous, on ne l’aurait jamais lâchée.

Série 2/4 – Du jour au lendemain, Léna et ses frères se sont retrouvés en foyer. Un placement qu’elle a vécu comme violent et injuste.

Illustration verte, jaune et rose. A gauche de l'image, deux jeunes de dos se tiennent la main devant la porte d'un car. avec leurs sac à dos et cartable à roulettes A droite de l'image, une jeune fille allongée regarde au dessus d'elle. Deux vignettes montrent une main qui scrolle sur un téléphone, et une main qui tient une peluche.

Lors des précédentes rencontres organisées au foyer, ça a été très compliqué. On ne pouvait pas parler de tout, les sujets de conversation étaient très restreints. Ce qui n’était pas du goût de ma mère.

La dernière fois que je l’ai vue, c’était il y a deux ans. Depuis, je n’entretiens plus aucune relation avec elle. Elle a tourné la page. Nous ne sommes plus du tout sa priorité. Mon souhait n’est pas de retourner vivre avec elle, car, malgré le fait que je sois en foyer, je peux veiller sur ma fratrie et je me sens protégée.

Léa, 15 ans, lycéenne, Gravelines

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Enfants placé·es, enfances abandonnées

Emmanuel Macron l’a promis avant sa réélection, la protection de l’enfance sera au cœur de son 2e quinquennat. Promesse entendue : huit associations lui ont envoyé une lettre ouverte pour lui rappeler tout le travail qu’il reste à faire, en France, dans ce domaine.

En 2019, 312 500 mineur·es et 24 700 jeunes majeur·es ont été suivi·es par la protection de l’enfance. Les trois-quarts des assistantes familiales partiront à la retraite d’ici dix ans, alors que le nombre d’enfants placé·es augmente.

Que deviennent ces enfants, une fois grand·es ? 

70 % des jeunes de l’ASE (aide sociale à l’enfance) sortent du système scolaire sans le moindre diplôme. Un quart des personnes sans domicile fixe nées en France sont d’ancien·nes enfants placé·es.

Les militant·es des droits de l’enfance se battent contre les « sorties sèches ». Pendant longtemps, les enfants de l’ASE cessaient brutalement d’être pris·es en charge le jour de leurs 18 ans. Depuis la loi Taquet du 7 février 2022, la prise en charge par l’ASE est étendue jusqu’à 21 ans (et encore, sous conditions !).

Paroles d’enfants placé·es

Rania Kissi et Lyes Louffok sont passé·es par le système, et militent désormais pour la cause des enfants placé·es. Devenue pupille de la Nation après avoir été abandonnée par son père, elle est aujourd’hui élue à Cergy. Lui raconte son histoire dans un livre et intervient régulièrement dans les médias.

Dans son album Entre ciment et belle étoile, la rappeuse Keny Arkana évoque son passé d’enfant placée, de ses fugues aux mauvais traitements infligés par l’Institution.

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