Léna L. 27/06/2022

2/5 Obligés de s’enfuir du foyer

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Du jour au lendemain, Léna et ses frères se sont retrouvés en foyer. Un placement qu’elle a vécu comme violent et injuste.

Je n’oublierai jamais ce jour où des vigiles du tribunal d’Asnières-sur-Seine nous ont pris de force et nous ont amenés dans cette grosse voiture, avec des inconnues. J’ai été séparée de mes parents du jour au lendemain. Avec moi se trouvaient mes deux petits frères encore trop jeunes pour comprendre ce qu’il se passait. On a été coupés du monde.

À 14 ans, on commence à grandir, à voir un autre aspect de la vie, on sort avec ses amis, on crée ses premiers souvenirs. Moi, à cet âge, j’ai connu la souffrance : j’ai dû prendre mes responsabilités, refouler mes émotions, ne pas craquer et ne pas inquiéter les autres.

Je revois encore le visage de mes frères pleurant de toutes leurs forces… Et moi ? Je ne ressentais rien, j’étais vide. J’avais l’impression d’être dans un gros cauchemar, que j’allais bientôt me réveiller.

Presque un enlèvement

Quand ma sœur m’a appelée, en pleurs aussi, une des inconnues m’a arraché mon téléphone de manière froide et ne me l’a plus jamais rendu.

Ces femmes ne voulaient pas nous dire qui elles étaient, ni où elles nous emmenaient. J’avais l’impression d’avoir affaire à un service top secret. Si on ne sortait pas d’un tribunal, j’aurais cru à un enlèvement. C’était tellement rapide et violent !

Je me rappellerai toujours du KFC où elles nous ont emmenés après… Comme si deux morceaux de poulet pouvaient apaiser nos peines, ou combler le vide que nos parents avaient déjà laissé dans nos cœurs. C’était comme nous dire : « Regardez comme on est cool avec vous, pas comme vos parents, hein ? » 

Moi, je ne cessais de revoir l’image de ma mère tombant dans les pommes en apprenant qu’elle allait être séparée de ses enfants pendant huit mois. Elle était accusée de négligence et de maltraitance, alors qu’elle nous avait toujours tout donné. Finalement, cette séparation a duré un an et demi.

La réalité du foyer d’urgence

Mon petit frère Khalid, qui avait 8 ans à ce moment-là, a été placé dans un autre foyer que moi, dans une autre ville. Ça a été le pire moment de ma vie quand je l’ai vu s’éloigner de moi. Pourquoi nous séparer ? Qui allait s’occuper de lui comme je l’aurais fait ?

Quand nous sommes arrivés là où Slimane, mon autre petit frère âgé de 12 ans, et moi allions être placés, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je réalisais que ma vie allait changer, je passais de septième enfant d’une grande famille à simple grande sœur qui garde la tête haute pour lui.  Je ne devais pas craquer ! Jamais ! Il était si doux, si timide, si inoffensif… Il était mal dans ce monde-là, et je le voyais.

Durant ces quelques mois, j’ai vu ce qu’était la réalité en foyer d’urgence, entre des éducateurs corrompus et des enfants ou ados aux multiples traumatismes ou même perturbés psychologiquement. Cette nouvelle vie n’était pas de tout repos. Tous les soirs, il se passait quelque chose : des cris, des fugues, des crises, de violentes bagarres, ou pire encore : des attouchements sexuels. Je devais à tout prix protéger Slimane de ce monde-là.

Un matin d’octobre, j’ai pris un papier et un stylo et j’ai écrit à la juge pour la supplier de nous laisser rentrer chez nous. Je lui ai dit qu’on n’était pas fait pour être ici, notre situation n’était pas la même que celle des autres jeunes ! Sa réponse : rester forte et me trouver des occupations pour ne pas y penser.

J’ai tout calculé de A à Z

J’ai donc décidé de prendre les choses en main pour partir de force de cet endroit, que la juge soit d’accord ou pas. Je ne pouvais pas sauver Khalid qui était dans une autre ville, mais j’allais fuir et emmener Slimane avec moi.

Le plan était calculé de A à Z. Nos valises étaient prêtes. L’éduc de nuit devait se trouver dans la cuisine, nous, nous devions faire semblant d’aller à l’école. Je savais que la confiance que les éducateurs avaient pour nous les trahirait, car ils ne se doutaient pas un seul instant que nous allions fuir. Nous étions des enfants modèles, après tout.

Toute la nuit, j’ai observé l’éducateur de nuit : ses pas, dans quelle pièce il se trouvait… Je connaissais ses habitudes. Au bout d’un moment, il est allé dans la cuisine pour siroter son café. C’était le moment. Il pensait qu’on dormait et ne se doutait pas que, bientôt, on se trouverait dans un bus, valises en main !

Le plan allait être un succès…

Deux enfants modèles se rebellent

À 6 heures du matin, nous avons sauté d’une des fenêtres, avec nos grosses valises. Il ne nous a pas vus. Mon plan avait marché. On n’avait pas d’argent, mais on a couru prendre le premier bus que nous avons vu.

La route fut longue et éprouvante, ça nous a pris une ou deux heures pour, enfin, se réfugier chez notre grande sœur. Les éducateurs, eux, ont mis du temps à remarquer qu’on n’était pas à l’école. L’école avait fini par les appeler pour les avertir de notre absence. J’imaginais leurs têtes quand ils avaient appris que les deux enfants modèles du foyer s’étaient rebellés et les avaient bien dupés. Ça m’a fait doucement rire.

Ce fut un plus grand succès que ce que j’avais imaginé ! Et j’étais contente d’avoir passé une journée en famille.

Les retrouvailles

Le soir, nous sommes retournés au foyer. Après la fugue, on ne pouvait plus rester au foyer d’urgence, surtout s’ils savaient que c’était moi le cerveau de tout ça. Donc, durant une semaine, nous sommes allés dans une famille d’accueil. Elle était très chaleureuse, ça montrait le gros contraste entre le foyer d’urgence et une famille normale.

Série 3/5 – Placé à son arrivée en France, Bob a tenté de dénoncer ce qu’il se passait dans sa famille d’accueil, mais personne ne l’a cru.

A gauche de l'image, quatre jeunes s'enlacent. A droite, un jeune de dos met ses mains contre le mur.

Puis, après, on a été dans un village d’enfance, où nous avons pu retrouver Khalid. J’avais l’impression que c’était le paradis sur terre. Fini les enfants perturbés, fini les éducateurs corrompus, tout était paisible.

Un jour, nous sommes enfin retournés chez nos parents. Tout ce pour quoi je me suis battue pour garder la tête haute durant un an et demi. Et toute cette souffrance s’est arrêtée.

Léna, 19 ans, étudiante, Gennevilliers

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Enfants placé·es, enfances abandonnées

Emmanuel Macron l’a promis avant sa réélection, la protection de l’enfance sera au cœur de son 2e quinquennat. Promesse entendue : huit associations lui ont envoyé une lettre ouverte pour lui rappeler tout le travail qu’il reste à faire, en France, dans ce domaine.

En 2019, 312 500 mineur·es et 24 700 jeunes majeur·es ont été suivi·es par la protection de l’enfance. Les trois-quarts des assistantes familiales partiront à la retraite d’ici dix ans, alors que le nombre d’enfants placé·es augmente.

Que deviennent ces enfants, une fois grand·es ? 

70 % des jeunes de l’ASE (aide sociale à l’enfance) sortent du système scolaire sans le moindre diplôme. Un quart des personnes sans domicile fixe nées en France sont d’ancien·nes enfants placé·es.

Les militant·es des droits de l’enfance se battent contre les « sorties sèches ». Pendant longtemps, les enfants de l’ASE cessaient brutalement d’être pris·es en charge le jour de leurs 18 ans. Depuis la loi Taquet du 7 février 2022, la prise en charge par l’ASE est étendue jusqu’à 21 ans (et encore, sous conditions !).

Paroles d’enfants placé·es

Rania Kissi et Lyes Louffok sont passé·es par le système, et militent désormais pour la cause des enfants placé·es. Devenue pupille de la Nation après avoir été abandonnée par son père, elle est aujourd’hui élue à Cergy. Lui raconte son histoire dans un livre et intervient régulièrement dans les médias.

Dans son album Entre ciment et belle étoile, la rappeuse Keny Arkana évoque son passé d’enfant placée, de ses fugues aux mauvais traitements infligés par l’Institution.

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