4/4 Dans le « futur Manhattan » de l’île Maurice
J’habite au paradis, dans une carte postale, là où les gens ne voient que le bleu du lagon, les plages de sable fin et les hôtels de luxe, dans un pays qui double sa population tous les ans avec les touristes.
Mais la carte postale a un revers. Celui qu’on ne voit pas. J’habite à Vacoas, une ville au centre de l’île, un désert urbain à qui on promet de devenir une des plus grandes et prestigieuses villes américaines : Manhattan. Rien de moins. C’est le député de notre région qui nous l’a promis. Depuis, il s’attire la moquerie, c’est presque devenu une blague. Évidemment, personne n’y croit. En tout cas, on se dit que le futur risque de prendre du temps à arriver.
Manhattan, c’est le glamour, les taxis jaunes, les gratte-ciels et les hot-dogs. Vacoas, c’est les taxis marron crasseux, les meetings politiques, le bazar et les rotis de chez Kacim à 30 roupies la portion. Manhattan, c’est le luxe mais du luxe à Vacoas… mon cul !
« T’es sérieux, tu vis à Vacoas ? »
J’habite un pays touristique qui voit défiler chaque année plus d’un million de voyageurs… mais, dans ma ville, je n’ai jamais croisé un touriste. Pourquoi viendraient-ils ici ? Vacoas, c’est une gare d’autobus à l’odeur qui m’oblige à me transformer en plongeur en apnée et qui ne sert qu’à quitter la ville. Une gare où les jeunes se retrouvent pour « fréquenter ».
Vacoas, c’est des espaces vides, des bâtiments abandonnés et des citoyens qui le sont tout autant. « Vacoas ? Mais il y a quoi à faire là-bas ? » ;« T’es sérieux, tu vis à Vacoas ? » C’est ce que j’entends à chaque fois que je dis d’où je viens.
Port Louis, c’est la capitale. Rose Hill, c’est la salle du Plaza et l’espace de skate. Tamarin, c’est la plage et le spot de surf. Mais Vacoas, c’est quoi ? Rien, juste un « red flag », ce signal qui s’accroche à mon dos à chaque fois que je dis d’où je viens.
Seuls les casinos sont nos amis. Ce sont les seuls endroits où les Vacoassiens sortent… surtout ma mère et mes tantes. À tel point qu’on est qualifiés de « zougader », des accros au jeu. Mes tantes y vont si souvent qu’elles savent quel jour il va payer ! J’ai suivi une fois leurs conseils, j’ai misé 100, j’ai gagné 10 000 ! Ce jour-là, le casino a aussi été mon ami. My BFF.
Mais sinon, la ville est synonyme d’ennui. C’est une ville fantôme qui ne s’anime que les mardi et vendredi à l’heure où le bazar est plein à craquer. Les politiciens font leurs meetings ici probablement parce que les SMF (Special Mobile Force), les forces anti-émeutes, sont logées là.
Premiers pas, premiers mots, première fugue
Pourtant je suis attaché à cette ville, elle est un peu ma mère. Elle a vu mes premiers pas, mes premiers mots et ma première fugue, à 10 ans, quand sans prévenir mes parents je suis allé jouer chez Terry. Vacoas, c’est ma ville mère. Nous avons une relation difficile, voire problématique.
SÉRIE 1/4 – Activité essentielle sur l’île, le tourisme est un secteur dans lequel il ne fait pas bon se projeter quand on est une jeune femme créole.
Je ne la connais peut-être pas suffisamment. C’est une ville où je ne traîne pas. Je ne traîne pas dans la ville où j’habite ! Dès que je peux, je m’éloigne. Je vais à Grand Baie. C’est là qu’est l’opulence, le style de vie, la mer, les beaux immeubles, les boîtes de nuit. La carte postale de Maurice que tout le monde connaît mais dans laquelle je n’ai pas vraiment ma place.
Damien, 21 ans, Vacoas
Illustration © Léa Ciesco (@leaciesco)
Wow!!!what a power of speech Damien…n what a superb French…n I simply love the honesty with which u hvr described the place where you live!!! Hats off!
Wow! Trop fière de toi Damien!