Jean-Jacques K. 28/03/2024

3/4 Un ado dans le Beau

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Jean-Jacques, 17 ans, peut se piquer de connaître son île sur le bout des doigts. Initié à l’apiculture par son père dès l’âge de 5 ans, il a appris à en contempler les beautés naturelles aujourd’hui menacées par les changements climatiques.

Grâce aux abeilles, je connais mon île de fond en comble. Mon père est apiculteur. À partir de mes 5 ans, il m’a emmené avec lui pour s’occuper des ruches. Aujourd’hui, j’en ai 17. Comme il m’a appris l’apiculture, je l’apprendrai plus tard à mon fils.

On partait dans notre petit van Toyota. J’ai découvert la forêt, les tamariniers, les campêches, et les cerfs et les poules qui se baladaient. C’était comme si je vivais une aventure. Je marchais de tous les côtés, je cassais les plantes pour découvrir leur odeur, je lançais des roches pour me distraire. J’avais un petit couteau accroché à ma ceinture comme si j’étais Rambo. Et j’étais persuadé que mon père, cet « homme de la nature », savait tout. Quand il ne pouvait pas me répondre, j’étais étonné qu’il ne sache pas. Mais il ne me laissait pas le temps de rêver ou de regarder trop longtemps. Je devais l’aider pour déplacer les cadres des ruches.

Curepipe, la nurserie des abeilles

Pour travailler avec les abeilles, il faut être patient, méticuleux et concentré. C’est tout sauf moi ! Alors, au début, je me faisais piquer très souvent en posant mal mes mains sur les cadres. J’ai appris à découvrir et à reconnaître les saveurs, l’eucalyptus blanc, l’eucalyptus rouge, le litchi, le tamarin… Nous avons 200 ruches dans toute l’île. Mon père y passe ses journées. Moi je fais ça tous les jours pendant les vacances et, lorsque j’ai école, tous les week-ends. Grâce à mes ruches, j’ai pu découvrir toutes les facettes de mon île. Je suis un ado de la nature.

À Curepipe, là où j’habite, c’est ma nurserie. C’est là que je nourris mes abeilles. Mon père a commencé là il y a quarante ans avec une seule ruche. Aujourd’hui, on en a quarante dans la cour. C’est l’endroit le plus froid de l’île, 23 degrés pendant la journée en hiver, il y a beaucoup de pluie. C’est le vent du Sud qui pousse tous les nuages vers Curepipe. Alors c’est très vert.

À Port-Louis, c’est la ville. On transpire beaucoup. C’est très chaud, très sec. Et il y a beaucoup de bâtiments. De là où sont installées les ruches, je peux voir le Champ de Mars et les musées. Le miel est marron clair. Sa saveur est un mélange de plusieurs fleurs. Au sud de Port-Louis, à Quatre Bornes, on récolte le miel de litchi. C’est le plus rare, le plus sucré, le plus concentré.

Les montagnes derrière, la mer devant

Mon site préféré est à Tamarin, à l’Ouest. J’ai les montagnes dans mon dos et la mer sous mes yeux. C’est un endroit très tranquille, mais la chaleur y est incroyable. C’est très sec. Moi qui passe beaucoup de temps au même endroit pour manier les ruches, je transpire à grosses gouttes. Près des ruches je sens l’acacia et l’eucalyptus. Là-bas, c’est la meilleure récolte.

Au nord de Tamarin, à Flic en Flac, les ruches sont dans les jardins d’un hôtel. De là je vois la montagne mais pas la mer. Le paysage est sec puis humide, ça fait un dégradé du beige au vert. Le miel est plus clair et sa saveur c’est l’eucalyptus blanc.

À Blue Bay, au Sud, il y a beaucoup de champs de canne. À la coupe, les abeilles viennent prendre le sucre sur le bout qui reste. Le paysage est plat, l’aéroport est tout près, au bord de la mer. Et le miel a un petit goût salé.

L’autre endroit où j’aime partir, c’est Bambous Virieux. C’est un petit village très calme, à l’Est de l’île. De là-haut, je vois le vaste océan bleu au-dessus de la barrière de corail, les pêcheurs en mer avec leurs filets, les champs de canne à perte de vue, la forêt qui entoure la montagne, la terre à moitié sèche, à moitié humide. Je sens le vent de la mer me traverser la peau. Le soleil me fait transpirer. Les grands arbres apportent de l’ombre aux ruches. Ce n’est pas propice pour les abeilles mais le miel a aussi un goût salin particulier.

Moins de fleurs

Comme je passe la plupart de mon temps à la découverte de mon île, je ne suis pas à l’aise avec les jeux sur le téléphone ou avec une manette de Playstation. Des fois ça m’agace, par rapport aux autres jeunes ici. Mais je trouve aussi bizarre que les Mauriciens ne voient plus la beauté de notre île et de sa nature qui est fragile.

Depuis que je suis dans l’apiculture, je vois qu’avec le changement climatique et les pesticides il y a moins de fleurs donc moins de nourriture pour les abeilles. Pendant l’hiver, je dois la doubler avec de l’eau et du sucre.

SÉRIE 4/4 – À Vacoas, entre la gare d’autobus et les bâtiments abandonnés, Damien s’ennuie. Il porte quand même la localité dans son cœur.

Illustration graphique. Paysage avec des montagnes vertes à droite et des bâtiments à gauche.

L’île est aussi polluée par les bouteilles en plastique, les mégots de cigarette, et plein d’autres déchets. Je passe mon temps, quand je suis dans la nature, à ramasser ces ordures qui traînent. Ça me met en colère de constater que personne ne se soucie de l’environnement ici. Je ne peux même plus pêcher d’écrevisses dans la rivière qui passe en bas de chez moi. Elles sont parties. Il faudrait que les Mauriciens se réveillent s’ils veulent garder leur île vivante, et pour que moi je puisse continuer à suivre mes abeilles.

Jean-Jacques, 17 ans, Curepipe

Illustration © Léa Ciesco (@leaciesco)

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