1/4 Travailler dans l’hôtellerie, mais pas ici
Ici, à Maurice, le tourisme fait vivre des milliers et des milliers de personnes mais, dans la société mauricienne, c’est un métier dégradant. Pourtant c’est celui que je veux faire. Je dois donc lutter contre les réputations et les a priori ancrés dans la tradition. Et ils sont violents.
Je viens d’une famille traditionnelle hindoue où on a toujours pensé que c’est la famille qu’on doit rendre fière en premier. Cette fierté se caractérise par le rêve de tout parent de voir son enfant épouser le métier de docteur, avocat ou comptable. Mais aucun de ces métiers ne rentre dans mon rêve.
J’ai grandi dans un environnement où je me suis toujours sentie contrôlée. Je viens de Cassis, un quartier dangereux de la capitale où la drogue « fait ravage », où les jeunes ne foutent rien de leur vie et où il est facile d’être influencée par les mauvaises personnes. Je comprends donc que les intentions de mes parents sont pour mon bien.
Rebelle
Dans mon entourage, il y a beaucoup de mes proches qui sont des hauts gradés, des avocats, des managers de banque ou des comptables, et leur vision pour mon avenir, c’était que je suive leurs pas. À un certain point de ma vie, j’étais perdue et je ne savais pas quoi faire. Je voulais même quitter l’école pour devenir artiste mais, pour eux, « ce n’est pas un métier ». Je me suis forcée à continuer l’école. Après le bac, je me suis orientée vers l’hôtellerie.
Je voulais devenir cheffe, mais après la pandémie, j’ai observé que beaucoup de cuisiniers avaient perdu leur emploi et je me suis tournée vers le management hôtelier. C’est à ce moment-là que mes proches m’ont fait part de leur mécontentement par rapport à mon choix de carrière. J’étais déjà fixée sur ce que je voulais faire et, peu importe ce qu’ils disent, je resterai sur ma décision. Je ferai ce que je veux, je serai rebelle !
Ça a été un long combat. Mes proches ressentaient mon orientation comme un manque de respect à leur égard. Mais je ne suis plus une enfant… Même si, à Maurice, on reste habiter chez ses parents tant qu’on n’est pas mariée, je voulais mon indépendance. Et faire mes choix.
« Des putes »
Durant la première semaine de cours, j’étais vraiment fascinée par la façon de penser de mes professeurs et j’ai appris aussi à mieux connaître ce métier. Je me suis rendu compte que ce que pensaient mes proches et les gens, j’allais devoir m’en foutre.
Ici, les mots sont durs pour ceux qui choisissent l’hôtellerie : « Bann tifi ki travay dan lotel se bann pitin », comme on dit en créole. Ça veut dire que les filles qui travaillent dans ces métiers sont des putes…
Je ne veux pas être jugée. En tout cas, pas de cette manière. Ce métier est tellement dévalorisé aujourd’hui que, dans ma promo, on est dix. Autrefois, c’était des dizaines. Les hôtels de Maurice vont embaucher du personnel en Inde. C’est pour dire ! Moi non plus je ne veux pas travailler sur mon île après mes études.
J’ai eu l’occasion de faire un stage en France et la perception du métier de serveuse est nettement plus appréciée qu’ici. Là-bas, j’étais vraiment à l’aise dans mon domaine et je me sentais libre comme une plume ! Je pouvais me donner à fond dans mon métier. Je n’étais pas contrôlée par les gens. Avec cette expérience, je me suis plus rapprochée de la restauration que du bar.
On était un groupe de treize jeunes Mauriciens, sans nos proches, libres de tout faire et de nous perfectionner. Comme on n’était qu’entre nous, j’ai pu apprendre plus de l’art de la restauration. J’ai pu constater que c’est un métier magnifique et que les filles ne sont pas mal vues comme à l’île Maurice. Il n’y avait pas de discrimination, les gens s’en foutaient. On était traitées de la même manière que ceux qui avaient un titre plus haut que serveuse.
« Dans mon coin »
J’ai aussi découvert les joies de la communication. Ici, à Maurice, on n’apprend que le service, le plus vite possible. En France, on prend le temps de parler, de discuter. C’est pour ça que je veux faire ce métier. C’est là que je trouve ma liberté. Sans jugement permanent. J’aime la conversation.
J’aime le fait de pouvoir concocter différents cocktails tous les jours, avec des couleurs comme le bleu de la liqueur curaçao, qui me rappelle la vue de la chambre de ma mère sur les vagues et l’horizon. Je prends énormément de plaisir à offrir ces cocktails à mes clients. Ils adorent ce que je fais.
SÉRIE 2/4 – Contrainte par ses parents de ne pas parler créole, Ségolène a fini par le parler avec un accent français.
Tout ce plaisir que je prends dans mon métier, malheureusement, en rentrant à la maison je ne peux pas le partager avec mes proches. Alors que j’aimerais en parler avec eux. Cela me blesse, au fond. J’ai 23 ans et ils pensent que les décisions que je prends ne sont pas un bon choix pour mon avenir. Je me retrouve la plupart du temps dans mon coin pour ne pas créer des conflits inutiles.
Je ne veux plus qu’on me regarde de haut parce que je vis ma passion. J’ai hâte de quitter l’île Maurice et de partir dans un endroit où je me sentirai libre, et où je serai appréciée. Dans un mois, je serai de retour en France, à Nice. Un jour, peut-être, je reviendrai à Maurice. À l’hôtel… comme cliente !
Yana, 23 ans, Quatre Bornes
Illustration © Léa Ciesco (@leaciesco)
Sa me touche énormemnt Yana.
Bn courage e bn continuation ❤️
Respect Yana
To pou ressi toi.