Lucas B. 27/04/2022

5/5 On a maintenu le lien à travers les barreaux

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Lucas a grandi avec un père derrière les barreaux. Malgré les obstacles et contre l’avis de sa mère, il a réussi à garder le contact.

Vers l’âge de 3 ans, j’étais avec la daronne. Mon père n’était pas là. Il était en prison. Il a été arrêté pour possession de drogue. Cinq ans ferme. Je n’ai pas compris tout de suite : ma mère ne voulait pas me le dire car j’étais beaucoup trop jeune pour comprendre. Je pensais qu’il était juste en vacances. Avec le temps, j’ai fini par capter qu’il était absent parce qu’enfermé en zonzon.

On habitait dans un appartement, c’était la hess. L’appartement était vraiment nul, il y avait même pas internet. Je sais même plus comment j’occupais mes journées. Je regardais la télé quoi, miskine. On vivait dans un quartier plutôt calme, il se passait tellement rien, c’était mort.

Ma mère a rencontré un homme, qui est actuellement mon beau-père, quand mon père a sombré dans la drogue. Au début, elle entretenait les deux relations en même temps. Ah ça, quand ton père se met de la poudre dans le nez, bah c’est la fin.

Vivre sans son père, c’est chiant car il y a des trucs que tu pourrais évoquer avec lui mais pas avec ta mère, des trucs de mecs quoi. Ça, c’est la sauce vraiment, je souhaite à personne de vivre ça. Cette situation, elle pue la merde, c’est claqué. Genre, t’as un père en prison, et un beau-père que tu acceptes mais vite fait.

J’ai commencé à faire n’importe quoi

En 2015, on a déménagé de cet appartement claqué. On est partis dans une maison avec jardin et avec internet, une révolution mdr. Du coup, j’ai aussi changé d’école en CM1, vers 9-10 ans. Certes, c’était dans la même ville mais bon je ne connaissais personne.

En CM2, mon père toujours en prison, j’ai commencé à faire n’importe quoi en cours. J’ai donc été viré de l’école à cause de conneries. Je faisais que des bêtises pour me faire remarquer. Passage au collège, je continuais mon bordel, je foutais rien en cours. Je faisais que dormir en classe. Ma moyenne a chuté : premier trimestre 11 de moyenne, fin d’année 5. T’as capté le délire. L’échec scolaire totalement. C’était la hess.

Ma mère a capté que j’en foutais pas une. Alors qu’elle était contre au départ, elle a fini par accepter que j’aille voir mon père au parloir. On s’y rendait en voiture avec ma grand-mère.

À chaque visite en prison, la joie

C’était une vingtaine de minutes de route, entre Bourbourg et Dunkerque. La maison d’arrêt était un grand bâtiment. On entrait, on passait sous un détecteur de métaux. Je sais plus si j’ai été fouillé, mais ma grand-mère paternelle qui m’accompagnait, oui. Elle devait poser son téléphone dans une boîte qu’elle laissait à la sécurité. On nous emmenait dans une pièce. Elle était grande. Il y avait des jeux d’enfants, des puzzles, une mini-voiture blanche et noire. Ça donnait pas l’impression qu’on était dans une prison. À chaque fois que je voyais mon père, c’était de la joie. Genre t’as capté, j’étais heureux de le voir. On parlait de comment c’était dehors.

J’ai jamais pleuré durant cette période. Ça a duré comme ça pendant quelques années. En vrai, je comprenais pas que mon père était en prison. C’est longtemps après que j’ai capté. Je me rendais au parloir presque une fois par mois, avec l’autorisation de ma mère. Elle avait quand même peur que mon père m’influence, elle faisait gaffe que je me fasse pas embrigader mdr.

La deuxième année au collège, mon daron a fini par sortir de prison. C’était à Noël. Mon grand-père m’a dit : « Monte dans ta chambre, tu as une surprise en haut. » J’y suis allé, surpris. J’ai vu une grosse boule sous la couette de mon lit et des Air Max qui dépassaient. J’ai soulevé et je l’ai vu. C’était mon père ! Il m’a tout de suite pris dans ses bras. Il était habillé d’un peignoir rouge, un drôle de Père Noël mdr. J’étais à la fois sous le choc, content et fier de le voir. C’était trop bizarre après tant d’années d’absence. Je l’ai bombardé de questions : « Comment c’était la prison ? » « Comment tu te sens maintenant ? », etc.

C’est reparti pour un tour

Le bonheur a pas duré longtemps : mon père est retombé quelques années plus tard, cette fois parce qu’il avait braqué une boulangerie. Il a pris deux ans ferme. C’était pas GTA non plus, il a fait ça car il avait besoin d’argent pour s’acheter une dose de drogue, il était en fait en manque.

J’avais encore plus la haine quand il est reparti. Avant d’y retourner, il m’a demandé de bien travailler à l’école, mais balec quoi. J’ai continué à faire n’importe quoi en cours. Ma mère voulait plus que j’aille le voir en prison. Elle avait trop peur que je tourne vraiment mal. J’étais vraiment en colère contre lui. Je savais où il était mais je pouvais pas le voir. C’était rageant.

Alors, avec mon père, on a trouvé une autre technique pour maintenir le lien. Il a réussi à se procurer un téléphone portable alors que c’est interdit en zonzon. On discutait au téléphone, ça me faisait du bien d’entendre sa voix, même si on se disait des banalités. On s’envoyait des textos. Les autres mecs de sa cellule savaient pas qu’il avait un téléphone, du coup il m’envoyait des messages de « bonne nuit » vers 23 heures. Il m’appelait après les repas quand les autres étaient en ronde, pendant les moments de quartier libre. On parlait pendant dix minutes, de tout et de rien : « Coucou, comment ça va ? Et toi ? Et l’école ? »

Il planquait son téléphone, il avait peur de se faire choper. Il prenait beaucoup de risques pour qu’on continue à se parler. Ma mère était pas au courant. Je lui ai pas dit. Si elle l’avait su, elle aurait peut-être appelé la prison pour balancer mon père. Je voulais pas prendre ce risque. Un jour, il m’appelle et, au même moment, un gardien passe devant sa cellule. Mon père a dû planquer son téléphone en deuspi ! C’était hyper risqué ce qu’il faisait pour garder le contact avec moi.

Après la prison, mon père s’est rangé

Aujourd’hui, mon père est rangé. Il est carré comme on dit. Il est sorti de prison, il a un taf et un appartement. On habite à dix minutes en voiture l’un de l’autre. On se voit. Enfin, comme il travaille tôt en cuisine, c’est chaud. Tous les mercredis, il vient me chercher chez moi. On aide ma grand-mère sur les tâches ménagères. On passe du temps ensemble. Il a l’air mieux dans sa peau. Il prend encore de la drogue mais beaucoup moins qu’avant.

Série 1/5 – Du jour au lendemain, le père de Benjamin a décidé de l’abandonner. Après quelques années agitées, il a su se construire un avenir.

Capture d'écran d'un autre article, illustration avec deux personnes qui sont allongé côte à côte, une des deux couvre les yeux de l'autre avec sa main. Au premier plan il y a une lettre avec un poignard planté dedans

On parle de la prison parfois. Il me raconte les violences qu’il a subies et la bagarre où il a failli mourir. Des gars jouaient au ballon dans la cour, mon père était nouveau : le ballon est passé par-dessus les barbelés, ils lui ont demandé d’aller le chercher. Mais mon père a refusé, alors ils l’ont planté avec une lame de rasoir. À sa sortie de prison, il m’a montré cette cicatrice au niveau du bassin, j’étais sous le choc.

Ses incarcérations, ça a tout changé dans mon parcours. C’est une leçon de vie. Je sais que je dois pas toucher à la drogue, mon père est pas un exemple à suivre. Je le sais. Pourtant, j’ai pas mal tourné. Je suis fier de ce passé, ça fait partie de ma vie et de mon histoire. C’est quelque chose que j’assume et qui m’a rendu plus fort et mature. N’oublie pas, même si t’as une vie de merde bah t’inquiète, la roue tourne mais elle tourne pas toute seule, c’est à toi de la pousser.

Lucas, 16 ans, lycéen, Loon-Plage

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

Pousser sans tuteur

Sans repères

De Sniper à JoeyStarr en passant par Guizmo, les rappeurs ont été nombreux à évoquer le sujet du père déserteur. Une situation qui touche autant les femmes que les hommes. Dans l’émission Woman Talk That Talk, Emma témoigne de l’impact qu’a eu l’absence de son père sur sa vie.

Des foyers souvent pauvres

Les familles monoparentales, c’est une famille sur quatre en France. 19 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté, soit 1,3 million de personnes. Dans ces conditions, la débrouille, le soutien de l’entourage et le système de protection sociale jouent un rôle capital.

Passer outre les barreaux pour garder le lien

Visiter un·e proche au parloir est une épreuve. Les enfants sont plus de 95 000 à compter un parent derrière les barreaux, le plus souvent le père. À Marseille, l’AFP s’est rendue aux Baumettes, à la rencontre de ces familles disloquées par la prison.

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