Victoire H. 27/06/2022

4/5 Noyée au milieu des enfants placés

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Petite, Victoire a vu défiler les enfants placés chez elle. Un quotidien qu'elle n'a pas choisi, et dont elle ne garde pas de bons souvenirs.

J’avais 4 ans quand ma mère est devenue assistante familiale. La particularité de ce métier, c’est d’accueillir des enfants pris en charge par les services sociaux, et de les intégrer dans une famille d’accueil. Une famille comme la mienne.

C’est ma mère qui s’occupait de toute la partie administrative, des rendez-vous, du plus gros du métier. Mes parents ont toujours insisté sur le fait d’être une famille d’accueil. Lorsque l’un d’entre nous rechignait à intégrer les nouveaux arrivants, ils nous rappelaient que c’était notre rôle à tous. Ils soulignaient le mot « famille » dans « famille d’accueil ». C’était très important pour eux, et ça l’est toujours.

L’avantage de notre famille, c’est que nous avons toujours été assez soudés, très stables. On parle beaucoup tous ensemble, et j’ai toujours pu compter sur mes frères et sœurs. J’ai le rôle de la petite dernière, auquel je tiens particulièrement. Mes frères m’ont toujours beaucoup chouchoutée. J’étais, et je suis encore leur bébé.

Traumatisée par le premier

Lorsque notre famille a accueilli un premier enfant, j’étais hyper contente. Je me suis tout de suite imaginée m’amuser avec lui, comme je le faisais avec mes frères et sœurs. J’ai vite déchanté. Il avait 4 ans, il était blond, petit, trop petit pour son âge, et maigre. Rapidement, j’ai su qu’il ne deviendrait pas un copain. Il était violent avec tout le monde, mais particulièrement avec moi. Cheveux tirés, jouets cassés, il me poussait… Il ne supportait pas de voir mes parents s’occuper de moi. Il s’en prenait à moi et à mes affaires. Ma famille s’en est vite rendu compte.

Il me punissait parce que lui n’avait pas reçu cet amour. Il a été placé à cause de maltraitance. Ces parents le battaient, il avait associé ça à de l’amour. Alors il ne comprenait pas trop le fonctionnement de ma famille.

C’était très dur pour ma mère, c’était son premier accueil et elle n’avait pas été formée pour ce genre de cas. Cet enfant n’est pas resté un mois à la maison, ma mère a demandé qu’il soit placé ailleurs. Ça l’a démoralisée. Elle avait l’impression de ne pas réussir à faire correctement son travail, alors que c’était la faute des services sociaux. Elle a aussi eu la sensation d’être malmenée par les assistantes sociales, qui sont en charge des placements.

J’en veux au système

Souvent, lorsqu’un enfant part de sa famille d’accueil, ce n’est pas parce qu’il retourne dans sa famille : c’est parce que son impact sur la famille d’accueil est trop grand et que l’assistante familiale demande un changement. C’est le grand reproche que je fais à ce métier : on place des enfants qui ont parfois de gros problèmes psychologiques dans des familles classiques, qui ne sont pas formées à ce type de profils.

Lorsqu’un enfant est placé, l’assistante familiale ne connaît que la partie émergée. On ne leur donne jamais l’intégralité de l’histoire. Si c’était le cas, la plupart refuserait de prendre ces enfants, et légitimement. Protéger les enfants placés, c’est important. Mais cela se fait parfois aux dépens de ceux des assistants et assistantes familiales.

Trop d’ados à la maison

C’est à l’adolescence que c’est devenu plus difficile. Ma mère a obtenu un deuxième agrément. Elle a donc eu l’autorisation d’accueillir un autre enfant. Elle a choisi de prendre plutôt des adolescents. Cela collait plus à notre vie de famille. L’adolescence, pour un enfant au parcours classique, ce n’est déjà pas facile. Mais pour les jeunes placés, c’est parfois pire. L’impact sur la famille s’est largement fait ressentir.

Ma mère était débordée, nous étions six adolescents. J’ai détesté cette période. Il y avait trop de monde dans une même maison. Ma mère pétait littéralement un plomb, l’ambiance était lourde. À l’époque, je ne comprenais pas trop pourquoi elle était aussi énervée. Avec du recul, je me rends compte à quel point cela devait être étouffant pour elle.

Apprendre à partager mon espace

Quand ma mère a accueilli deux jeunes filles plus âgées que moi, il a fallu que l’on rétrécisse ma chambre pour être en adéquation avec les normes d’agrément. On n’accueille pas n’importe comment les enfants placés en famille d’accueil. Il faut qu’ils aient un espace décent où vivre. C’est complètement normal, et heureusement. Mais pour la jeune ado que j’étais, c’était dur à comprendre. J’en ai voulu à la nouvelle jeune fille accueillie : elle est arrivée, ma chambre avait « rétréci », et je me suis sentie exclue.

J’étais en colère et je n’ai pas été très tendre avec elle. Une fois, je me souviens, j’ai caché son téléphone dans un tiroir. Je crois qu’elle l’a cherché pendant une semaine. Dès que je pouvais lui lancer des piques, je le faisais. Je faisais tout pour lui pourrir la vie car je considérais que c’était elle qui avait pourri la mienne.

Pourtant, aujourd’hui, elle est comme une sœur pour moi. C’est la seule accueillie avec qui nous sommes toujours en contact, elle fait partie de la famille. Elle partage nos Noël, nos anniversaires… Son histoire nous a beaucoup touchés. Elle a fui son pays pour éviter un mariage forcé, et elle nous a beaucoup appris. Même si j’ai mis du temps à le reconnaître, sa présence dans la famille a été très bénéfique.

C’est l’un des aspects, peut-être le seul, que je trouve bénéfique dans ce mode de vie : vivre avec ces enfants tourmentés par la vie m’a ouvert à la diversité culturelle, mais aussi sociale. Et je reconnais aujourd’hui que certaines de mes qualités me viennent de là. Je pense que cela m’a permis d’être plus ouverte aux autres et d’être empathique. Cependant, je suis aussi devenue plus méfiante et réservée à cause de ce que certains m’ont fait vivre.

Partager mon collège et mes amies

Par la suite, les jeunes accueillis avaient mon âge : ils venaient dans mon collège, et pour certains étaient dans ma classe. Je devais partager ma maison, ma famille, mon collège, mes amis. Lorsque qu’il y avait un nouvel enfant, j’étais toujours très volontaire. Je l’intégrais à la maison, à l’école et auprès de mes amis. Du moins, j’essayais.

Car, parfois, mes copains avaient du mal à accepter les nouveaux arrivants. Disons qu’intégrer une nouvelle personne dans un groupe d’amis c’est toujours délicat, surtout quand il n’y a pas d’affinités. J’étais divisée entre mes amis et la volonté de ne pas laisser ces nouveaux arrivants seuls dans un nouvel établissement scolaire.

Intrusions dans ma vie

Je suis celle de ma famille qui a le plus subi le métier de ma mère. J’avais la plupart du temps le même âge que les enfants accueillis et je suis celle qui était le plus souvent à la maison.

Il y a eu un garçon, il est arrivé, n’a pas parlé pendant une semaine. Je me suis attelée à le mettre à l’aise dans notre collège, à la maison. Rapidement, il est devenu mon ami. Il est même venu plusieurs fois avec moi chez des amis, chose inédite. Et pourtant, au bout d’une année à la maison, son comportement a changé. Nous avons appris qu’il n’avait pas donné son vrai prénom. Surtout, il volait mes précieuses affaires : les pendentifs offerts par mon copain, ma tablette… Il allait jusqu’à venir la nuit dans ma chambre et même une fois dans celle de mes parents. Je l’entendais la nuit, courir dans la maison, ouvrir les placards et se servir.

Une fois, ma mère a retrouvé mes sous-vêtements dans sa chambre. C’était une intrusion de plus dans mon intimité. J’en ai énormément voulu à mes parents de m’imposer tout ça. J’avais la sensation de ne plus être chez moi et que personne ne se rendait compte de l’état dans lequel cette situation me mettait. Il a fallu attendre un été pour que je sois enfin débarrassée de cet intrus dans ma vie. Malgré les appels insistants de ma mère, les assistantes sociales ne réagissaient pas. Elle a fini par l’amener elle-même aux assistantes sociales.

Soulagée de ne plus vivre chez mes parents

Aujourd’hui, je ne vis plus chez mes parents, mais j’ai toujours ma chambre avec mes affaires. Ma mère accueille deux petites filles. L’une d’elle est assez difficile. Elle a fouillé ma chambre dernièrement, elle a réussi à trouver dans l’un de mes tiroirs un vieux téléphone que j’ai gardé. Il est toujours connecté à internet et j’ai laissé des applications dessus. Elle s’est appropriée mon compte Instagram, a mis son nom à la place du mien, a ajouté ses copines…

Je dois avouer que je suis soulagée de ne plus vivre là-bas. Nous étions déjà une belle fratrie et j’ai parfois eu du mal à m’imposer. Mais cela a été rendu encore plus difficile avec les enfants accueillis. J’ai la sensation d’avoir été laissée de côté à leur profit.

Série 5/5 Harcelé, Beni a mis longtemps avant de comprendre que chez sa mère, il vivait dans l’insalubrité. C’est son frère qui l’a sorti de là.

Deux jeunes garçons assis s'enlacent. Autour d'eux, des mains les pointent du doigt.

Je sais que mes parents culpabilisent. Ma mère a toujours la sensation que ce qui se passe chez nous est de sa faute puisque c’est son métier. La voir culpabiliser me fait mal au cœur, mais ça me met aussi en colère. J’ai l’impression de ne jamais pouvoir exprimer clairement mes sentiments sans la blesser, alors la plupart du temps je me tais.

Aujourd’hui, j’ai trouvé ma place, mais j’ai toujours autant de rancœur vis-à-vis de tout ce qui s’est passé. Quand on parle de famille d’accueil, on pense aux enfants placés et aux assistantes familiales, en ignorant le reste des membres de la famille. On n’imagine pas à quel point ce système peut avoir des conséquences désastreuses sur eux.

Victoire, 22 ans, étudiante, Lille

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Enfants placé·es, enfances abandonnées

Emmanuel Macron l’a promis avant sa réélection, la protection de l’enfance sera au cœur de son 2e quinquennat. Promesse entendue : huit associations lui ont envoyé une lettre ouverte pour lui rappeler tout le travail qu’il reste à faire, en France, dans ce domaine.

En 2019, 312 500 mineur·es et 24 700 jeunes majeur·es ont été suivi·es par la protection de l’enfance. Les trois-quarts des assistantes familiales partiront à la retraite d’ici dix ans, alors que le nombre d’enfants placé·es augmente.

Que deviennent ces enfants, une fois grand·es ? 

70 % des jeunes de l’ASE (aide sociale à l’enfance) sortent du système scolaire sans le moindre diplôme. Un quart des personnes sans domicile fixe nées en France sont d’ancien·nes enfants placé·es.

Les militant·es des droits de l’enfance se battent contre les « sorties sèches ». Pendant longtemps, les enfants de l’ASE cessaient brutalement d’être pris·es en charge le jour de leurs 18 ans. Depuis la loi Taquet du 7 février 2022, la prise en charge par l’ASE est étendue jusqu’à 21 ans (et encore, sous conditions !).

Paroles d’enfants placé·es

Rania Kissi et Lyes Louffok sont passé·es par le système, et militent désormais pour la cause des enfants placé·es. Devenue pupille de la Nation après avoir été abandonnée par son père, elle est aujourd’hui élue à Cergy. Lui raconte son histoire dans un livre et intervient régulièrement dans les médias.

Dans son album Entre ciment et belle étoile, la rappeuse Keny Arkana évoque son passé d’enfant placée, de ses fugues aux mauvais traitements infligés par l’Institution.

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