1/5 « J’ai rencontré des frères là-bas »
Avec mes potes de Champs-sur-Marne, on n’avait pas trop l’habitude de traîner avec les jeunes des autres villes : Torcy, Noisiel, Lognes, Saint-Thibault. Un groupe de potes ça ne se mélange pas. Ça reste ensemble et ça s’arrête là.
De base, je ne devais pas partir en vacances. J’étais en stage en juillet et je n’avais rien de prévu en août. Avec certains de mes potes qui, eux aussi, ne devaient pas partir, on avait tous prévu de galérer ensemble. Au barbecue de fin de saison du club de foot, on fêtait le passage de mon équipe en catégorie supérieure et j’ai entendu un encadrant parler du voyage en Pologne. C’était un voyage en vélo. On ne payait rien. Je suis allé le voir pour lui demander s’il y avait de la place. Il y avait des entraînements, trois fois par semaine et une sélection à passer. J’ai direct compris que c’était du sérieux, et que si je réussissais à partir, ce voyage allait beaucoup m’apporter.
« Un sourire que je n’avais jamais vu »
C’était la troisième édition du voyage. Le but était de mélanger les participants pour lutter contre les rixes. Un de mes potes avait fait la deuxième. C’était la première fois qu’il avait quitté l’Île-de-France… à 16 piges ! Il est revenu avec un sourire que je n’avais jamais vu. J’avais suivi le périple sur Snap. Torcy–Marseille en quatorze jours. Toute la ville suivait ça. On était tous contents pour nos potes. On voyait qu’ils se mélangeaient entre villes et que, même après le voyage, ils restaient en contact.
J’ai fait les entraînements pour le voyage : du vélo et de la préparation physique. Je crois que je n’en ai raté aucun. J’était toujours présent. Une semaine avant de partir, l’encadrant a donné la liste des gars qui pouvaient partir. Les plus sérieux. Sur les vingt-quatre sélectionnés, il y avait six jeunes de Champs. J’ai vu mon nom. J’étais trop content. Mon été, il commençait à prendre forme. Je finissais mon stage Bafa le vendredi, et la semaine d’après j’étais sur mon vélo.
Rixes, descentes et compétition
Pendant cette période, il y avait pas mal de descentes entre ma ville et Torcy, Noisiel, Lognes et Saint-Thibault. Les plus grands, ils descendaient. Ils nous montraient et ils nous racontaient ce qu’il se passait. Il y avait toujours une espèce d’ambiance de compétition qui stagnait entre jeunes. Même si on n’était pas impliqués dans des rixes ou descentes, quand on sortait on se disait toujours : « Imagine, on les croise et ils veulent nous faire (nous veulent du mal), on fait quoi ? » On était éveillés sur ces problèmes. On connaissait les risques et on voyait bien qu’il y en avait qui avaient dérivé.
Je me suis toujours dit que ça ne servait à rien que je rentre dans ces histoires. J’ai eu la chance d’avoir mes deux parents derrière moi donc ça ne m’a jamais vraiment intéressé. Mais je suis conscient que ce n’est pas le cas pour tout le monde. J’ai vu des potes ressortir de ça avec de vraies galères. Grâce au voyage de mon pote, j’avais vu qu’on pouvait se mélanger et qu’en réalité on était tous pareil, j’avais cette envie de vivre ça.
« On se tirait tous vers le haut »
Au début du voyage en vélo, j’ai recroisé les têtes de ma ville, que je connaissais depuis petit et que j’avais perdues de vue avec le collège et les sports qu’on avait faits. Il y avait deux, trois gars de mon club de foot qui partaient avec moi donc je me sentais moins seul. Au début du voyage, les jeunes de chaque ville restaient entre eux. Comme je l’ai dit, un groupe de potes, ça ne se mélange pas !
Vu qu’on passait des journées entières à pédaler, on a commencé à se mélanger, petit à petit. On est devenus proches au bout de deux ou trois jours. On allait passer quatorze jours ensemble. Il fallait bien qu’on se mélange de toute façon. En réalité, ce sont les encadrants qui nous ont poussés, sinon on aurait passé tout le séjour avec nos groupes respectifs.
SÉRIE 2/5 – Yanis connaissait quelques gars des villes voisines mais ne leur avait jamais vraiment parlé. Entre les heures passées à suer en pédalant et les soirées bowling, il a appris à mieux les connaître, petit à petit.
Le soir, on était tous KO. On avait mal partout. Il y a des jours où on pédalait 80 km, et d’autres, en Allemagne et en Pologne, avec v’la les montées ! On en a passé des journées à monter, descendre, remonter sur le vélo, redescendre, pour pouvoir faire la montée qu’on croyait sans fin à pied. Il y avait même des moments où on passait des matinées et des après-midi à faire du plat. On ne voyait pas la fin. Mais on était en vacances donc on était contents.
Heureusement qu’on était ensemble. Je pense que sans tous les gars, je n’aurais pas pu réussir. On se tirait tous vers le haut, on ne se voyait pas réussir sans une personne. C’était soit on le fait ensemble soit on ne le fait pas. C’est passé tellement vite. J’ai rencontré des frères là-bas, des gens à qui tu parles avec l‘impression de les connaître depuis 20 ans.
« Je me sens serein maintenant »
On vivait la même chose, alors fallait qu’on le partage. Tous les soirs, peu importe la journée qu’on avait passée, dure ou facile, longue ou plus courte, on finissait par se coffrer dans la chambre des uns ou des autres. On passait des nuits entières ensemble à parler, se vanner, à avoir des fous rires. On reparlait de la journée qu’on venait de passer, de celle de demain tout en s’en foutant de dormir ou pas. Même si on n’avait que cinq, six heures de sommeil dans le corps, un bon petit-déj’ et on montait sur les vélos.
On a créé un groupe Snap pendant le voyage et on est toujours plus ou moins en contact dessus. Je me sens serein maintenant, je connais du monde un peu partout. Ça fait plaisir à tout le monde de voir qu’on s’entend tous bien maintenant. Ce projet anti-rixes a eu un véritable impact sur nous. Quand on se croise dans la rue, il y a toujours un grand sourire sur nos visages. On sait qu’on a réalisé un truc de fou ensemble. On est partis à Auschwitz à vélo. On est liés. Je peux compter sur eux.
Zako, 17 ans, lycéen, Champs-sur-Marne
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)