Pédaler contre les rixes
Réconcilier des jeunes de quartiers voisins – « en guerre » – en leur faisant parcourir des centaines de kilomètres à vélo depuis la Seine-et-Marne (77), a tout d’une idée assez dingue. C’est le défi qu’Ali Matelo – déterminé à prendre sa part dans la lutte contre les rixes entre les ados de Torcy, Noisiel, Lognes, Saint-Thibault-des-Vignes, Champs-sur-Marne – leur propose depuis trois ans (lire encadré). Après le décès d’Iderlindo, 21 ans, ce directeur adjoint d’un centre social a décidé de leur faire vivre ensemble cette aventure sportive et humaine hors du commun.
En 2023, 24 jeunes hommes ont été sélectionnés pour relever ce défi : passer quatorze jours à cohabiter H24 et à pédaler sur 800 kilomètres, de Torcy à Auschwitz en Pologne, en plein mois d’août. Zako, Yanis, Yassine, Ismo et Souleymane en étaient. Cinq mois après leur retour, ils se sont attaqués à un autre genre d’épreuve : se souvenir et raconter cette expérience par écrit, accompagnés par les journalistes de la ZEP, à la maison de la jeunesse de Noisiel. Ils ont livré des récits joyeux. Des témoignages de compétition et d’entraide, de dépassement de soi et de découverte de ses limites, d’esprit d’équipe et de singularités, de différences et de points communs. Des histoires d’amitiés qui se nouent, les mains sur le guidon comme dans les chambres. Loin des guerres entre quartiers.
La rédaction
« Faire en sorte que nos jeunes arrêtent de se taper dessus »
Ali Matelo, ancien directeur adjoint chargé de la jeunesse au centre social Omac, à Torcy, revient sur ce qui l’a convaincu d’embarquer des jeunes de quartiers rivaux en Seine-et-Marne dans un projet sportif et humain ambitieux.
Comment est né le « 77 à vélo » ?
Je suis parti des problèmes liés aux rixes sur notre territoire, Paris Vallée de la Marne (Lognes, Torcy, Noisiel, et Torcy), et sur une partie d’un autre territoire, Marne et Gondoire (Saint-Thibault-des-Vignes). Sur deux ans, il y a eu quatre décès. Il y a eu une marche pour rendre hommage à un jeune qui a été tué : Iderlindo. Face au regard d’un parent qui a les yeux en larmes, tu te sens impuissant. Je me suis dit que ça serait une bonne chose si on pouvait faire en sorte que, sur notre territoire tout du moins, on puisse avoir un impact, pour que nos jeunes arrêtent de se taper dessus jusqu’à conduire à des morts.
S’en est suivie une rencontre avec une prof d’histoire lors d’une réunion avec des élus municipaux. Cette prof d’histoire était aussi élue. Je me suis dit : « Je pense qu’on peut faire un truc ensemble. » Je l’ai sollicitée et elle a tout de suite été partante. Le projet devait se baser sur la guerre, parce que les jeunes de nos quartiers pensent se faire la guerre, mais en réalité ce n’en est pas une.
Pourquoi as-tu décidé de faire pédaler des adolescents sur 800 kilomètres ?
Le vélo, c’est un sport qui me fascine. Je me suis toujours demandé comment un être humain pouvait pédaler 200-300 km par jour. Et je me suis dit : tiens, peut-être qu’avec nos jeunes ce serait bien ? Ce sport-là est un peu fermé. Ça permet de casser les mœurs et d’ouvrir ces jeunes des quartiers populaires à d’autres disciplines. On aurait pu partir à pied, mais le petit plus, c’était la récompense du vélo. C’est un outil de travail avec lequel tu repars. Comme une médaille. Je ne regrette pas ce choix car ça a bien pris. Tu peux être de Lognes, de Noisiel, de Torcy et être un élément très athlétique. Ce côté athlétique n’a pas de ville. C’est entre toi et toi. À vélo, ils sont obligés de communiquer, s’encourager, attendre l’autre…
Quel était ton objectif en les emmenant à Auschwitz ?
On a tendance à taxer les jeunes de quartier, généralement musulmans, d’antisémites. J’avais non seulement besoin de rendre hommage à toutes les victimes de la Shoah mais aussi de démontrer que les jeunes de quartier, musulmans ou pas, sont sensibles à ce qui arrive à d’autres communautés. Contrairement à ce que des médias véhiculent.
1/5 « J’ai rencontré des frères là-bas »
Zako avait envie de rencontrer des jeunes d’autres villes, mais les embrouilles rendaient jusque-là toute amitié impossible. Alors quand il a entendu parler du 77 à vélo, il n’a pas hésité : il a foncé. Sur 800 km.
2/5 « J’étais avec des gars de Noisiel, Champs, Torcy »
Yanis connaissait quelques gars des villes voisines mais ne leur avait jamais vraiment parlé. Entre les heures passées à suer en pédalant et les soirées bowling, il a appris à mieux les connaître, petit à petit.
3/5 « Ne pas décevoir mon père et mon frère »
Arriver dans les premiers, ne pas abandonner : voici les résolutions de Yassine sur son vélo. Un esprit de compétition dont il a hérité.
4/5 « Le vélo, c’est vraiment physique ! »
Ismo a sous-estimé la difficulté du vélo. Ce n’est qu’après la première destination, à 70 km du point de départ, qu’il a réalisé que ça n’allait pas être une mince affaire.
5/5 « Enfin à ma place »
Entre les regards, les moqueries et les mises à l’écart à caractère raciste, Souleymane a toujours dû prendre sur lui. Grâce au 77 à vélo, il a enfin trouvé sa « safe place ».