Zach I. 12/06/2021

Migration : ma Play, c’est ma bouée

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Zach est arrivé en France en 2020. Sur toute sa route depuis le Congo, jusqu'au refus de lui accorder le statut de mineur isolé, sa Play l'a accompagné.

Les jeux vidéo ont toujours été pour moi une façon d’être seul dans mon monde. Au Congo, quand je stressais, je jouais pour m’évader. Je vivais à Lubumbashi, la deuxième ville du pays, avec ma famille. Ma première console était la Nintendo. J’ai découvert les Mario et plein d’autres jeux. En 2010, on a eu la PlayStation 3, et la 4 en 2016. Les graphiques étaient beaucoup plus beaux et, le plus important : la découverte de Call of Duty (COD), puis Black Ops. C’était un moment très heureux pour moi. Le seul moyen de m’amuser et de m’échapper des cours à l’école.

En 2018, j’ai dû quitter le Congo à cause d’une tragédie qui est arrivée à ma famille. C’était dangereux pour mes frères et moi. Quand on est rentrés à la maison, on a dû aller se réfugier à l’église, chez le prêtre. Il a jugé bon de nous envoyer chez son amie, en Zambie.

Je ne pensais pas beaucoup à ma situation

On y est restés pour plus d’une année. On avait accès à la Play 4, et aussi à internet ! J’ai découvert les jeux en ligne pour la première fois ! Et j’ai pu jouer à COD en ligne. C’était très difficile… mais j’étais très content. Je ne pensais pas beaucoup à ma situation, juste pour les démarches de mes documents.

Le livre De rêves et de papiers, écrit par Rozenn Le Berre, raconte l’histoire de plusieurs mineur·e·s isolé·e·s : leurs occupations, leurs capacités à rester adolescent·e·s malgré les démarches compliquées auprès des administrations françaises.

Je jouais sur certains serveurs : Asie, Amérique du Nord, Europe. Ce n’est pas la même chose ! Selon l’heure, en Afrique, on ne choisit pas les mêmes. Le matin c’est mieux, car les gens sont moins forts en Zambie. Alors que l’après-midi et le soir, je tombais sur des bons joueurs. À ce moment-là, mon quotidien, c’était les jeux vidéo, regarder la télé (pour les sports), et un peu des balades. Pas d’école.

Début 2020, on a quitté la Zambie pour la France, une fois qu’on a eu tous les documents pour pouvoir voyager en avion en tant que mineurs. On est venus en France avec un ami du monsieur chez qui on vivait en Zambie. Je pensais que c’était pour les études. Je ne posais pas vraiment de questions, j’étais plus content de prendre l’avion pour la France… et je n’avais pas à penser à la tragédie qui nous était arrivée au Congo.

Je n’aurais jamais pensé que j’allais passer autant de temps sans console…

Je me disais que la console en Europe, ça serait beaucoup mieux : les serveurs et l’accès à plus de jeux. Je n’aurais jamais pensé que j’allais passer autant de temps sans console… Ça fait un an que je n’ai pas joué à COD. Alors qu’en Zambie je passais de nombreuses heures en ligne, depuis que je suis en France, c’est proche de zéro. Quand on est arrivés, on était logés chez une dame, et il n’y avait pas de console. On a passé le premier confinement là-bas. Et après le confinement, on est allés à la Croix-Rouge pour l’évaluation de la minorité. J’ai mal vécu l’absence de console, je m’ennuyais beaucoup, surtout avant d’être scolarisé… En plus, avec mon frère, on dormait à l’extérieur et c’était difficile pour manger.

Dix jours après, on a reçu une lettre comme quoi on n’était pas considérés comme mineurs. Donc on a dû quitter l’hôtel. On a rencontré l’association Utopia 56 qui nous a récupérés devant la Croix-Rouge. Et là, on a été logés dans des tentes, donc, logique, il n’y avait pas de Play. Pendant trois ou quatre semaines, on a dormi dedans. Un bénévole d’Utopia nous a logés chez lui pour quelques jours. Grâce à lui et ses amis, on a pu être logés à droite à gauche, chez des gens. Ça a duré deux mois…. Pendant tout ce temps, je n’avais aucun accès à la Play. Ça me manquait beaucoup.

Un bénévole d’Utopia nous a rapporté une PlayStation 4

Alors, à défaut d’avoir une console, j’avais COD sur le téléphone, mais les graphismes sont nuls. Je tombais sur des gens qui n’étaient pas bons et il y avait des bots (personnages automatiques), c’était trop facile. Je me lassais très vite, mais c’était toujours mieux que rien. Ça rappellait la sensation. Je lisais plus qu’avant, des mangas, en anglais : Dragon Ball Z, L’Attaque des Titans, Black Clover. C’était important pour moi d’avoir ça, parce que j’avais besoin de jouer. J’avais juste besoin d’une connexion internet…

Clara est éducatrice dans un centre pour mineurs isolés. Elle raconte son quotidien avec ces adolescents, son espoir de les voir reconnus comme mineurs et leur légèreté autour d’une partie de Uno.

Utopia nous a trouvé un hébergement durable, depuis décembre 2020. Et fin décembre, un bénévole nous a rapporté une PlayStation 4 ! Alors que je ne lui en avais pas parlé au point qu’il sache que c’était important pour moi. J’étais content, mais il n’y avait pas COD… Une bénévole avait pourtant cherché sur Leboncoin.

Comme je ne travaille pas, je ne peux pas avoir d’argent. Et je ne peux pas demander à un bénévole de payer un jeu, car eux non plus n’ont pas d’argent. Quand j’aurai de l’argent, je me l’achèterai, c’est sûr ! Les jeux vidéo représentent un moment de joie. C’est comme une petite addiction, je dirais.

Quand ma mère me manque aussi. Elle était mère au foyer donc je la voyais plus souvent que mon père, qui était commerçant de produits alimentaires et se déplaçait souvent à travers le pays. Ça me permet de ne pas penser à tout ça…

 

Zack, 17 ans, lycéen, Paris

Crédits photo Hans Lucas // © Julie Limont

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