En fuyant Daech, nous n’avons emporté que nos souvenirs
En Irak, des terroristes ont voulu me kidnapper, moi et mon frère aîné. C’était en 2003, j’avais 4 ans et mon frère 16. La raison de ce kidnapping : le simple fait que nous étions chrétiens.
Mon père a alors dû quitter son travail pour nous emmener dans un endroit plus sûr. Nous avons déménagé dans un village appelé Bartella et nous avons recommencé notre vie. Tout allait bien jusqu’au pire jour de nos existences. Le 6 août 2014, lorsque l’État islamique est arrivé en Irak et a commencé à attaquer les villages et les villes.
Tout d’abord, ils sont entrés dans un village appelé Sinjar. Ils y ont tué de nombreux hommes et enlevé des femmes et des enfants. Ils ont violé des jeunes filles et les ont prises comme butin pour les dirigeants de l’État islamique. Ensuite, ils sont entrés à Mossoul, au nord de l’Irak, où ils ont fait les mêmes choses horribles.
Nous n’avons emporté que nos souvenirs
Le 6 août, à 4 h 40 du matin, je me suis réveillée au son de bombardements très forts. L’État islamique bombardait des villages près du mien. Nous avions tellement peur, nous ne savions pas quoi faire. Nous étions choqués, terrifiés, sans voix, désemparés.
Ma mère était très inquiète parce que mon père et mon frère aîné travaillaient à Bagdad. Elle ne savait pas quoi faire. Mais, en même temps, elle a été si courageuse parce qu’elle a réussi à nous sortir. Moi et le reste de ma famille, de notre village.
Mon deuxième frère, qui avait 20 ans à l’époque, est monté dans la voiture et nous a emmenés hors du village à 5 h 20 du matin. Nous n’avions rien pris avec nous, ni vêtements, ni nourriture, ni nos affaires importantes. Nous n’avions emporté que nos souvenirs.
Quand mon frère nous a fait sortir du village, les sons des bombardements devenaient de plus en plus forts. Nous avions peur. Prier Dieu de nous sortir de cette guerre était la seule chose que nous pouvions faire.
Ni nourriture, ni endroit où dormir
Nous sommes arrivés au point de contrôle d’Erbil, une autre ville du nord de l’Irak, à une cinquantaine de minutes de notre village. Ils ne nous ont pas permis d’entrer, parce que nous étions très nombreux à essayer de nous échapper. Alors, ils ont fermé le point de contrôle pendant trois heures. Nous avons dû attendre dans l’angoisse : les nouvelles qui nous parvenaient indiquaient que l’État islamique allait attaquer cet endroit.
À 9 h 30, nous avons pu enfin entrer mais nous ne savions pas où aller. Nous étions perdus, nous n’avions pas de nourriture et d’endroit où dormir. Il ne s’agissait pas seulement de nous. Des milliers de gens étaient dans notre situation, perdus dans les rues et allongés sur la route, pleurant, demandant de l’aide, recherchant une chambre pour dormir.
Nous sommes allés dans des églises, qui étaient les seuls endroits qui aidaient tout le monde, chrétiens et musulmans. Et nous sommes restés dans la cour, où nous dormions par terre la nuit avec beaucoup de gens qui n’avaient pas de maison.
Nous sommes restés à l’église Saint-Joseph pendant trois jours. Quelqu’un nous a aidés, ainsi que cinq autres familles, et a ouvert son restaurant la nuit pour que nous puissions y dormir. Les gens qui vivaient à Ankawa nous ont donné des oreillers et des lits. L’église a essayé de nous fournir de la nourriture, ils ont réussi à préparer trois repas par jour.
L’État islamique nous a empêchés de vivre
Pour le petit-déjeuner, ils nous donnaient un œuf dur et un morceau de fromage avec une tasse de thé et un morceau de pain. Pour le déjeuner, une petite quantité de riz, mais cela ne suffisait pas pour une personne affamée. Et pour le dîner, on avait tout ce qui était disponible parmi les restes, ou alors ils cuisinaient quelque chose de nouveau.
Beaucoup de gens sont restés dans des camps où ils ont vécu. De nombreuses organisations humanitaires ont fourni une tente pour chaque famille. Quelle que soit la taille de la famille, tous les membres vivaient ensemble dans cette unique tente.
Nous avons vécu quatre ans à Erbil-Ankawa, essayant de nous installer et de commencer une nouvelle vie, mais cela n’a pas fonctionné.
Dans cette série, quatre jeunes mineur·e·s isolé·e·s en France, Mukhtar, Mohamed, Mamadou, Alexandra et Anas nous racontent ce jour où ils ont fui leur pays. Pour échapper à la guerre, à la maladie, à l’esclavage, ou pour obéir à leur famille.
Enfin, en octobre 2016, nos villages ont été libérés de l’État islamique, mais nous n’avons toujours pas pu rentrer chez nous à cause de l’environnement trop pollué, des bombardements et aussi à cause des mines posées sur la route. Plus tard, en 2017, nous avons pu nous rendre à Bartella, mais tout avait été détruit. Nos maisons avaient été volées, certaines d’entre elles avaient été incendiées et d’autres détruites. Ma mère ne pouvait pas y vivre car elle souffre d’asthme. Nous ne pouvions pas y habiter car il n’y avait ni école, ni université, ni aucune autre infrastructure nous permettant d’y vivre correctement.
C’est pourquoi, en avril 2018, nous avons finalement réalisé que la meilleure décision était d’émigrer. Nous avons soumis notre demande à l’ambassade de France et leur avons raconté tous les détails de nos souffrances. Puis, nous avons émigré de notre pays et recommencé notre vie.
Ledia, 22 ans, volontaire en service civique, Lyon
Crédit photo Hans Lucas // © Eric Lafforgue
Les déplacé·e·s irakien·ne·s
Plus de 6 millions d’Irakien·ne·s ont fui
Daech a pris le contrôle d’une grosse partie de l’Irak en 2014, ce qui a obligé plus de 6 millions d’habitant·e·s à fuir. La plupart d’entre elles et eux se sont réfugié·e·s dans des camps improvisés dans d’autres régions.
L’Irak a décidé de fermer tous ses camps
Lorsque Daech a été chassé du pays, l’ancien gouvernement irakien a décidé de fermer tous les camps de réfugié·e·s. Le problème, c’est que beaucoup ne peuvent pas retourner chez elles et eux pour des raisons matérielles ou politiques.
Celles et ceux qui sont revenu·e·s n’ont rien retrouvé
À l’heure actuelle, plus d’un million de réfugié·e·s irakien·ne·s n’ont toujours pas pu regagner leur région d’origine. Les autres ont pu quitter les camps, mais ont retrouvé leurs maisons pillées, brûlées, et les infrastructures détruites.