Mineur isolé, je suis accompagné mais libre de rien
En Guinée-Conakry, je pouvais aller où je voulais, sortir, rentrer à n’importe quelle heure sans rendre de compte à personne. Ici, je suis accompagné pour tout. Pour un ticket de métro, pour manger, pour acheter un jean… Depuis mon arrivée en France, je dois tout demander aux autres.
Le premier jour, quand je suis arrivé, je n’ai rien demandé parce que je ne connaissais personne. J’étais à Toulon, tranquille, dans les transports pour aller à la gare et prendre mon train pour Paris. Mais la police est venue et je n’avais pas de ticket. Je me suis dit : « Mais merde, s’ils me font descendre, qu’est-ce qu’ils vont me faire ? » J’avais un peu peur, mais je sais qu’en France, il y a des lois, des règles et que je risquais moins que dans mon pays.
Je n’ai quand même pas eu le choix. Ils m’ont fait sortir, m’ont envoyé au commissariat, m’ont posé des questions. Je leur ai dit que j’étais mineur. Ils m’ont dit qu’il y avait des services pour aider les mineurs non accompagnés. Ils ont même appelé un centre d’hébergement pour savoir s’il y avait de la place pour moi. Un éducateur est venu. Il a été gentil avec moi. Il m’a dit qu’il allait procéder à des tests pour évaluer ma minorité.
Envoyé à Paris, ils ne m’ont pas demandé mon avis
Je leur ai dit que j’avais un cousin à Paris. Du coup, au bout de trois mois, ils m’ont transféré là-bas. C’était ce que je voulais, mais ils ne m’ont pas demandé mon avis. Arrivé à gare de Lyon, mon cousin et un éducateur du Semna m’attendaient. Là-bas, ils m’ont à nouveau posé des questions. J’ai demandé : « Pourquoi toujours des questions ? »
Dépendant·e·s de l’ASE, les mineur·e·s isolé·e·s étrangers·ères n’attendent pas leur majorité pour construire leur vie en France. Mais une fois leurs 18 ans passés, nombreux·ses sont sommé·e·s de quitter le territoire, et ce malgré leurs efforts pour faciliter leur régularisation. Libération s’est intéressé à leur combat.
⚫️ Le combat des mineurs isolés pour ne pas quitter le territoire à leur majorité
Entre incompréhension, sentiment d’injustice et appel à l’aide, ils racontent leur parcours pour être régularisés ⤵️ https://t.co/7oqMSInYZW
— Libération (@libe) July 5, 2021
Ils m’ont donné des tickets de métro pour que j’aille au centre Archereau, géré par France terre d’asile. C’était il y a deux mois. Ici, je suis logé, je mange. Mais je ne peux rien faire sans être accompagné. Pour aller à mes rendez-vous, faire un bilan de santé, il y a toujours un éducateur avec moi. Des fois, ils viennent même vérifier qu’on est bien dans notre hôtel.
Dentifrice, shampoing, cotons, il y a des listes
Je me sens dépendant des autres. Même pour aller jouer au foot, il y a des horaires. Tout est limité, on prévoit tout pour toi : l’heure, la date, le moyen de transport, etc.
À Archereau, on nous donne tous les trois mois des vêtements. Tu as le droit de prendre deux jeans, deux t-shirts et une paire de chaussures. Même si tes chaussures sont usées, t’es obligé d’attendre trois mois pour en avoir des nouvelles. Pour tout ce que tu vas prendre, dentifrice, shampoing, cotons, il y a des listes. Tu dois cocher ce que tu veux et ensuite, ils te le donnent. On a aussi droit à un ticket de coiffure par mois qu’on doit emmener au magasin pour se faire couper les cheveux.
Mineur isolé : mal à l’aise de rester dépendant
En Guinée-Conakry, je n’ai jamais vu des services qui prenaient en charge les gens comme ça. Moi, je voudrais juste pouvoir entrer à l’école. Mais les procédures sont longues et je ne peux rien faire pour les accélérer. On me dit que je dois attendre mon rendez-vous pour le juge… et c’est très long. On me dit de patienter, mais ça me met mal à l’aise de rester dépendant des autres comme ça.
J’ai envie d’avancer vite et de ne pas rester à Archereau trop longtemps. Je suis pressé d’aller à l’école, mais je connais des gens ça fait huit mois qu’ils sont là et ils attendent encore.
Farhad a vécu pendant quatre ans en Suède en tant que mineur isolé. Menacé d’expulsion à ses 18 ans, il doit aujourd’hui repartir à zéro en France.
Quand j’irai à l’école, je pourrai suivre une formation qui me plaît, je n’aurai pas autant besoin des autres. J’aurai ma liberté. Quand j’aurai un métier, je pourrai faire ce que je veux de mon argent, aider ma famille et les personnes qui me sont chères. Tendre la main à qui je veux. C’est ça la liberté selon moi !
Ça fait deux mois, mais je vais attendre encore longtemps… J’aimerais être libre à ma façon, et par rapport à mon avenir plus que jamais !
Ibrahim, 16 ans, Paris
Crédit photo Hans Lucas // © Julien Benard