Joslin P. 20/09/2021

7/7 Après 12 ans, ma première permission

tags :

Grâce à sa permission, Joslin a retrouvé le goût des plaisirs simples lui permettant de mieux vivre sa détention.

Lundi 8 h 30, la liberté commence lorsque j’entre dans la voiture et que la porte claque. Autour de moi, des visages aimés, une atmosphère détendue, où les vannes et les rires émanent de discussions positives et constructives. Incarcéré depuis douze ans, j’ai eu la chance d’avoir ma première permission.

J’ai enfin saisi la main tendue pour m’extirper des soucis de la dépression, doublée de sinistrose, sous couvert de honte. Au programme, un panaché de shopping, de visites à des amis et une invitation à une soirée privée. Et tout cela sans cette maudite pression du temps ! Plus de « il faut se dépêcher » ou de « j’ai pas le temps de… » J’étais libre.

Direction « l’univers commercial » avec ses couleurs nouvelles, ses sensations auditives, ses choix infinis. En deux-deux, j’ai réappris la valeur de l’argent et ma façon bien à moi de gérer mes dépenses et mes plaisirs s’est activée. J’avais 100 euros autorisés pour cinq jours donc j’ai été à l’essentiel : produits d’hygiène, des fringues et on s’est aussi fait l’incontournable fast-food de Ronald ! En famille, c’était cool !

Pour les ex-détenu·e·s, retrouver la liberté est une expérience déroutante. Dans le documentaire « Première année dehors, journal de bord » de l’émission Infrarouge de France 2la réalisatrice Valérie Manss pose sa caméra sur trois hommes à leur sortie de prison et les étapes de leur reconstruction.

Le mercredi, j’étais attendu pour un « entretien d’embauche » dans l’agence Pôle Emploi de la ville. J’ai été coaché par ma nièce de 20 ans pour rédiger des CV et une lettre de motivation. Après le Pôle Emploi, l’idée d’un cinéma a fusé. L’enfant en moi a naturellement choisi le dernier Marvel « Dark Phoenix », et là, j’en ai pris plein les yeux. J’étais en mode instinctif pour ressentir le film jusqu’à mes tripes. J’en avais la chair de poule à la fin. Je m’étais, en taule, imaginé dans une salle obscure, une ambiance Grand Rex, avec un public vivant et interactif. C’était fait !

Le monde a tourné sans moi

J’ai vécu aussi une drôle d’expérience sur Paris le jeudi. Journée « chalandage ». Je me suis retrouvé à bord de la ligne 14, en tête de rame. Totalement automatisée. Notre sort était précisément conduit par une IA (intelligence artificielle). J’ai trouvé ça sensationnel et bizarre, comme un enfant devant une surprise !

J’ai apprécié le sentiment de chaleur et de tranquillité dans la maison de ma sœur. Cela m’a permis de me régénérer en good vibes et de me charger d’énergie pour les jours de détention à venir. Avec mes proches, on a de suite pris l’habitude de ne jamais, ou très rarement, évoquer ma vie carcérale. Si ce n’est pour leur parler des professionnels de la réinsertion et du bienfait des ateliers culturels. Comme si les contacts téléphoniques nous suffisaient, comme si nous prenions, désormais, le temps de vivre pleinement le présent.

1/5 – « Les jours passent et se ressemblent tous ! » Pour garder des repères temporels, Rodrigue est réglé comme une horloge.

De retour au centre, je me suis souvenu de l’impact émotionnel du monde libre. De la ville aux jardins, des transports en commun à la forêt de Fontainebleau. Autant dire que j’ai mis du temps pour redescendre de ma comète temporelle. Le monde a tourné sans moi et il m’est inutile de tenter de le rattraper. Par contre, je peux sans cesse m’adapter, changer et évoluer. J’ai désormais une autre façon de vivre les instants carcéraux. Projets en tête, guitare sur le dos, j’avance, j’apprends, j’entends pour ne pas cesser de vivre.

 

Joslin, 40 ans, en détention, Île-de-France

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

Partager

Commenter