Kafta C. 03/06/2022

En prison, un jour passe comme dix

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Accusé d’un vol qu’il nie avoir commis, Kafta attend son jugement dans le quartier pour mineurs d’une maison d'arrêt. Il vit la pire expérience de sa vie.

Je suis en prison depuis seize jours. Je ne dors pas bien, je fais des cauchemars. Tous les jours, je pense à ma mère. Elle est au bled. Je suis le petit de la famille. Ma mère, je sais qu’elle tient bien à moi. Elle me dit : « Toi, t’es spécial. » Je sais qu’elle fait la prière pour moi. Ça fait vingt jours que je ne lui ai pas parlé. Même quand j’étais en liberté, elle pleurait, parce qu’elle me voyait dans la rue.

Ici, un jour passe comme dix. Je n’ai pas la télé. Que la radio. Elle m’a fait fou dans ma tête, la prison. Depuis ma cellule, j’entends tout. Les cris, ça fait mal à la tête. Tous les jours la même chose. Quand certains n’ont rien à manger (je ne sais pas pourquoi on ne leur donne pas), moi je ne peux pas être bien. Je ne peux pas manger si je sais que d’autres n’ont rien. Moi, je suis calme. Je fais la prière dans ma chambre. Quand je réfléchis beaucoup, ça ne va pas bien. Alors, je regarde par la fenêtre.

En prison, je mange pour ne pas mourir

On amène le petit-déjeuner vers 7 heures. Je me lève à 9 heures. Je fais un peu de sport, je prends la douche, je fais ma prière. J’allume la radio. Je regarde par la fenêtre. 11 h 30, c’est le déjeuner. Je mange un peu si c’est bien. Mais c’est souvent pas bien. Je mange pour ne pas mourir, c’est tout. Et à nouveau : radio et fenêtre. 17 h 30, c’est le dîner. Je ne sais pas à quelle heure je m’endors, vers 1 ou 2 heures du matin. Je ne sais pas. Gamelle, sport, prière, radio, fenêtre.

Tous les jours pareil. Tous les jours, il y a la promenade, mais je n’y vais pas tout le temps. Je parle avec mes voisins de cellule par la fenêtre. Ma copine veut venir me voir au parloir, mais la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) me dit que ce n’est pas possible. Elle me dit que ma copine prend de mes nouvelles, ça me fait un peu de bien. En 2018, j’ai traversé la Méditerranée. Je suis restée 13 heures dans la mer. Juste avec Dieu et les dauphins, et ça ne fait pas peur comme la prison.

Dehors, chaque jour il y a des nouvelles choses. Des fois on travaille, des fois non. En liberté, il y a des trucs à faire. Le matin, je fumais une cigarette à ma fenêtre, avec un café, et je sortais direct. Je rejoignais mes copains, on allait jouer au billard, au bowling. Dehors, l’argent ce n’était pas un problème. Je travaillais une semaine, j’avais 500 euros pour payer les courses, donner au bled, envoyer à ma mère. Quand j’avais beaucoup d’argent, comme c’est sûr nulle part, je le donnais à un ami d’enfance qui est à La Rochelle. Ça fait dix ans qu’il habite en France. Sa mère était française, il a la nationalité maintenant.

Personne n’est réglo à 100 %

J’ai appris le français en arrivant en France. Je ne veux pas traîner avec des mauvaises personnes. Quand j’ai été arrêté, j’avais bu et j’étais avec des personnes avec qui je n’avais pas l’habitude de traîner, des majeurs repris de justice. C’était la première fois. Moi, j’ai surtout un copain proche, et une copine. Je traînais surtout avec eux. Je faisais des petites bêtises, personne n’est réglo à 100 %. J’ai déjà fait trois gardes à vue pour stupéfiants, parce que je fume beaucoup. Mais je ne suis pas un voleur. En prison, je ne peux pas fumer.

Je ne sais pas où je serai dans un, deux ou trois ans. Je voudrais avoir un travail stable. En sortant, je ferai tout bien. Je calculerai chaque pas. Je ne ferai pas n’importe quoi. Être ici, en prison, c’est une perte de temps. Dehors, c’est difficile pour les gens de faire confiance. Mais, pendant un an et demi, j’ai dormi avec un homme que j’avais rencontré dans la rue. On faisait les courses ensemble, on allait à Auchan. Il a une grande maison. Il me faisait confiance. Au début, je ne parlais pas beaucoup. Heureusement que je l’ai rencontré. Je n’aime pas les squats, j’y ai vécu deux mois. Foyer, je n’ai jamais fait la demande. C’est difficile pour moi de demander.

Sans papiers, difficile de faire ce que je veux

Avant la prison, je travaillais un peu : dans les chantiers, Uber, etc. Il y a beaucoup de choses que j’aimerais bien faire mais sans papiers, c’est difficile. Je n’ai pas envie de les demander, les papiers. Je connais des personnes mariées avec des enfants qui n’arrivent pas à en avoir. C’est trop difficile. Mais on m’a dit qu’il fallait. Alors, avant la prison, j’ai rempli tous les documents. Il ne manquait que mon passeport. Normalement, il est arrivé là, chez l’ami qui m’hébergeait. Ça a pris du temps, l’envoi, avec le corona.

Pas de place pour l’ennui. Pour garder des repères temporels, Rodrigue règle sa vie en prison comme du papier à musique. Un épisode de notre série sur la vie en détention.

Miniature de l'illustration dessinée de l'article "En prison, je suis réglé comme une horloge". Un détenu dans sa cellule regarde la télévision suspendue au mur face à lui.

J’étais arrivé pour une vie bien, sinon je serais resté au bled. Maintenant, je ne peux pas repartir au bled sans rien. J’aimerais bien avoir une vie bien.

Quand je sortirai, première chose : j’appellerai ma mère. Je lui dirai : « T’inquiète. » Je me poserai dans la maison, je prendrai une douche, je mangerai bien. Et je sortirai, même sans rien faire. Juste je marcherai et tout, ce sera la liberté.

Kafta, 17 ans, Bordeaux

Crédit photo Hans Lucas // © Yann Castanier

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