Maeva R. 19/07/2023

2/4 Retrouver la sauce italienne

tags :

Maeva a passé ses étés d'enfance dans sa famille, en Italie. Bons petits plats, chaleur méditerranéenne, discussions en italien... Tout ça lui a manqué les années où elle n'a pas pu y aller.

J’aimerais que vous fermiez les yeux quinze secondes et que vous preniez le temps de vous rappeler un plat familial dont vous chérissez le souvenir, les sensations et le goût. Pour ma part, c’est la recette de la sauce tomate de ma nonna, ma grand-mère italienne. J’ai entrepris il y a quelques années d’écrire dans un carnet toutes ses recettes, pour ne pas les oublier. Pour ne pas l’oublier elle, à force de ne la voir qu’une fois par an, pendant les vacances d’été, et pour garder un lien avec mes racines italiennes.

Je suis d’origine belgo-italienne, respectivement de par ma mère et mon père. J’ai vécu avec l’idée que j’étais « belge avec de la famille en Italie ». J’ai grandi en Belgique, appris la langue, la culture, l’histoire, les expressions, l’humour, etc. Mon père y a suivi ma mère avant ma naissance, et il nous emmenait chaque été, mes frères et moi, dans sa famille en Italie. 

Nous rejoignions donc ma nonna et mon nonno dans leur petit appartement de vacances à la mer, avec ma tante, mon tonton et, plus tard, leurs enfants. Nous étions dix à manger et vivre dans cet appartement, et les journées se résumaient à transpirer du matin au soir à cause de la chaleur et de la proximité, à beaucoup trop manger des pasta e fagioli, à se régaler avec la piadina, à sentir l’haleine de vin et clope de mon nonno, à écouter ma tante ponctuer toutes ses phrases par « cazzo » (mot vulgaire) et à terminer nos journées à la foire en dégustant uno gelato a la nutella et una granita

Coupée de ma famille et de l’Italie

Au début de mon adolescence, j’ai été mise dehors par mon père. Durant plus de trois années, je n’ai plus eu aucun contact avec lui ni avec ma famille en Italie. Il y a eu une coupure. J’ai peu de souvenirs de ces étés-là, je ne sais même plus où j’ai voyagé, mon cerveau ayant peut-être préféré garder en mémoire le souvenir des joyeux étés italiens. 

Depuis, j’ai renoué avec mon père, on s’entend super bien, et je suis donc repartie avec lui en vacances dans ma famille. Ça faisait très longtemps que je ne les avais plus vus et ça a été des retrouvailles pleines d’émotions mélangées : joie, tristesse, manque, excitation, peur, gêne. Mais quand mon nonno est venu nous chercher en voiture à l’aéroport, rien n’avait changé. Quand nous sommes arrivés à l’appartement la nuit, ma nonna nous attendait et on s’est prises très fort dans les bras. Ça m’a rassurée parce que ça voulait dire que je continuais d’appartenir à cette famille italienne, même absente.

Plusieurs années plus tard, mon frère est parti vivre six mois à Milan chez ma nonna pour perfectionner son italien. Il peut désormais avoir des conversations plus approfondies et sait blaguer. La blague, pour moi, est l’ultime maîtrise de la langue. Et je ne l’ai pas. Il est plus jeune que moi et arrive mieux à communiquer avec ma famille italienne que moi. Je le jalouse un peu.

Actuellement, quand je vais en Italie ou que je rencontre des Italien·nes dans la rue, j’ai un sentiment de proximité qui apparaît en moi (j’ai le sentiment qu’ils font partie de ma famille), mais également d’imposture. Parce que je ne parle pas italien et que je n’ai pas grandi là-bas.

Italienne à leurs yeux (et bientôt aux miens)

Aujourd’hui, je souhaite cette double culture. C’est un point important dans ma vie que j’avais totalement occulté, et j’aimerais y remédier en partant en roadtrip solo et marcher sur la Via Appia (500 km) qui traverse une bonne partie de l’Italie. Ce serait un peu comme un pèlerinage pour pratiquer l’italien et découvrir le pays, afin de me sentir peut-être plus italienne.

SÉRIE 3/4 – Pour Coralie, la double culture s’accompagne d’un syndrome de l’imposteur : comment se sentir guadeloupéenne alors qu’elle ne retrouve son île que pendant les vacances ?

Capture d'écran du troisième épisode de la série : "En Guadeloupe, je ne veux plus être une touriste". Il est illustré par un dessin représentant une manifestation de manière symbolique.

Cette reconnection passe aussi par les questions que je pose à ma nonna sur sa famille, sur les anecdotes familiales et personnelles, par la retranscription de toutes ses recettes, par la pratique de la langue que je parlais mieux quand j’étais petite, et par l’acquisition du savoir-faire de sa sauce tomate. C’est cliché, mais j’ai l’impression que si je sais faire sa sauce tomate, je serai une vraie italienne. 

Maeva, 25 ans, étudiante, Genval (Belgique)

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

Partager

Commenter