Sans-papiers, je travaille pour soigner ma mère
Si j’étais face à ma mère aujourd’hui, je pleurerais sûrement. Elle dirait : « Dieu merci, tu es en vie mon fils. » Ça fait neuf ans que je ne l’ai pas vue. Je lui raconterais ce qu’il m’est arrivé sur la route. Le Burkina, le Niger, l’Algérie, la Libye, l’Italie… Il y a beaucoup de choses que je ne lui ai pas dites au téléphone, je sais que ça lui ferait de la peine. J’ai passé cinq jours sur le bateau en Méditerranée. Mes amis sont morts dans la mer.
Merci beaucoup, c’est ce que je voudrais lui dire. Tout ce que je pourrai toujours lui donner, c’est trop petit par rapport à ce qu’elle m’a offert : la vie. Elle a rencontré beaucoup de difficultés, pour moi et pour nourrir la famille.
J’ai grandi entre Dialaka, le village de mon père, et Kolondikoye, le village de ma mère. Mon grand-père était militaire français, il a fait la guerre comme tirailleur. Quand mon père meurt en 2003, on n’a pas d’argent du tout et on souffre. On est aidés par le frère de ma mère. Elle va chercher de la nourriture à Kolondikoye. C’est surtout pour mes frères et sœurs, qui sont petits, qu’on est inquiets.
Je ne lui ai pas dit que je partais. Je suis son premier fils. Juste avant, j’ai expliqué à mes petits frères et sœurs pourquoi je tentais l’aventure. Je leur ai demandé de ne rien dire, jusqu’à ce que je sois parti.
Sans papier officiel, ni fiche de paie
Avant qu’elle décède, je veux tout faire pour elle. Ça fait trois mois qu’elle est à l’hôpital. J’envoie de l’argent pour la soigner. Chaque fin de semaine, je vais à Western Union, Moneyglobe ou MoneyGram et je donne entre 150 et 200 euros. Puis, je paie le loyer, à manger, le transport… Je n’ai pas les papiers alors je dois aussi payer les avocats qui m’aident dans mes démarches. Quand je les aurai, je pourrai travailler légalement. Et surtout, je pourrai enfin voyager et retourner voir ma mère.
Du départ jusqu’à l’arrivée dans le pays d’accueil, les incertitudes se succèdent pour les personnes exilées. Cinq jeunes installé·es en France depuis peu racontent leurs galères et leurs espoirs.
Je n’ai pas de papiers mais j’ai un travail, Dieu merci. Entre 2017 et 2019, j’ai commencé avec la carte d’un ami. Je fais le ménage de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Tous les matins, je commence à 7 heures et je finis vers 16 heures. Depuis 2019, je travaille en mon nom mais sans papiers officiels. Mon salaire est compris entre 1 000 et 1 200 euros tous les mois. Je ne cotise rien. Ça fait 36 fiches de paie que j’aurais dû avoir et que je n’aurai jamais.
Si je n’ai pas assez à la fin du mois pour ma mère, je demande à des amis et je les rembourse le mois suivant. Je leur explique qu’elle est malade, ils comprennent. Ma priorité, c’est elle. Le jour où je suis parti, elle était très triste au téléphone. Elle ne m’a pas crié dessus mais elle pleurait. Elle disait : « Tu me manques, reviens. » Depuis, je ne l’ai toujours pas revue.
Harouna, 30 ans, salarié, Le Bourget
Crédit photo Pexels // CC Tima Miroshnichenko
Le projet de loi immigration
Le 1er février, le gouvernement a dévoilé un projet de loi immigration qui va être voté par le parlement. Les polémiques autour de l’immigration ne sont pas nouvelles : c’est la 29e loi sur ce sujet depuis 1980. On te résume les grandes lignes de ce texte très controversé.
– Expulser les étranger·es qui ont été condamné·es à dix ans de prison ou plus pour des crimes ou des délits.
– Réduire le nombre de recours à une décision d’expulsion : lorsqu’une obligation de quitter le territoire sera prononcée, les demandeurs et demandeuses d’asile n’auront plus que quatre recours pour la contester (contre douze actuellement).
– Créer un titre de séjour « métiers en tension » : on régularisera (temporairement) les travailleurs et travailleuses sans-papiers qui exercent des professions dans lesquelles il y a un manque de main d’œuvre.
– Faire passer un examen de langue française aux demandeurs et demandeuses d’une première carte de séjour.
– Mettre plus de moyens dans les centres de rétention administrative, ces centres dans lesquels les exilé·es sont enfermé·es avant d’être expulsé·es (découvre ici notre série de témoignages sur ce sujet).
De leur côté, les associations dénoncent la stigmatisation des étranger·es, assimilé·es à des délinquant·es, et redoutent la violence des procédures d’expulsions simplifiées.