Raël L. 26/01/2022

Mineur isolé : je suis un garçon qui doit s’en sortir seul

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Quand Raël s'est vu refuser son statut de mineur·e isolé·e, il a connu la rue, et les tentes prêtées par les associations.

Je suis arrivé en France en février 2020, avec mon frère jumeau Zack et mon petit-frère. On était logés chez quelqu’un en dehors de Paris. On devait nous indiquer où aller, mais il y a eu le confinement et tous les instituts étaient fermés. Du coup, on est restés là, chez cette personne, jusqu’en juin, quand ils ont débloqué les choses. Puis on est allés à la Croix-Rouge

À mon arrivée à la Croix-Rouge, j’ai eu à passer des évaluations pour confirmer ma minorité. On nous a fait passer des tests et après ça, on nous a accompagnés aux Restos du Cœur pour manger. Le lendemain, on a passé notre deuxième évaluation : on a ensuite attendu deux semaines et demie.

Pas considérés comme des êtres humains

Puis on a reçu la lettre de refus. Elle disait qu’on ne nous reconnaissait pas comme mineurs, du fait que notre façon de penser ne concordait pas avec notre âge. C’est quelque chose de très bête. À ce moment-là, on était à l’hôtel… On nous a dit de prendre nos affaires et de partir, alors qu’on était jeunes et livrés à nous-mêmes. «Tu dois aller à tel ou tel endroit...» Nous, on venait d’arriver, on savait pas c’était où.

À un certain niveau, ils n’ont pas considéré qu’on était des êtres humains. Parce qu’ils nous lâchent comme ça, alors qu’on est perdus. Ils devraient au moins se sentir mals… S’ils pensent qu’on peut se débrouiller seuls, qu’importe notre âge, ça veut dire qu’ils ne nous considèrent pas tant que ça comme des humains. Et encore nous, on sait parler et lire français. Déjà pour nous, c’était pas évident, mais pour quelqu’un qui ne sait pas parler français…

L’aide précieuse des bénévoles

Utopia 56, ils font des maraudes et ils viennent souvent à la Croix-Rouge. Parfois, on leur dit qu’il y a des mineurs qui ont été refusés, et ils attendent pour les raccompagner. C’est comme ça qu’on en a rencontré un. Si les bénévoles d’Utopia n’avaient pas été là pour nous récupérer, je ne sais pas ce qu’on aurait fait.

Arrivés à Utopia, on a passé la nuit dans des tentes, derrière leur local, avec d’autres mineurs isolés et des familles. Je me rappelle, c’était encore l’été, il faisait très chaud. On restait ensemble : je dormais souvent avec mon petit-frère, et Zack dormait seul. Le matin, on se réveillait, on rangeait les tentes. On était un peu livrés à nous-mêmes jusqu’au soir où on les récupérait. Les journées, on les passait à droite à gauche.

Un anniversaire passé dans la rue

Lorsqu’on a reçu la lettre de refus, le 21 juillet, mon petit frère venait d’avoir ses 15 ans. Moi et Zack, on avait notre anniversaire sept jours après… Donc, pour nos 17 ans, on était en train d’errer dans la ville, en quête d’un endroit où charger nos téléphones et utiliser la connexion internet. C’est comme ça qu’on a passé notre anniversaire : je pense que c’est quelque chose qui va rester graver en moi. Jamais j’oublierai ça.

Ensuite, un bénévole d’Utopia nous a hébergés pendant quelques mois. Et pendant ce temps-là, on a commencé à aller dans une association qui donnait des cours de français, maths, sciences et anglais. Jusqu’à ce qu’on soit logés avec d’autres jeunes comme nous dans une paroisse.

Être un homme ne signifie pas être à l’abri des violences

Un jour, une bénévole a mentionné que les mineures isolées filles et les femmes étaient plus prises en charge par les associations. Ça m’a étonné qu’elle dise ça. La raison, c’était que les femmes étaient plus exposées aux violences, aux violences sexuelles et aux réseaux de prostitution. Mais en disant ça, on sous-entend que les hommes peuvent se prendre eux-mêmes en charge, qu’il n’y a pas de danger pour eux. Alors que les mineurs isolés garçons sont aussi livrés à eux-mêmes… Et les laisser à la rue, c’est les exposer à la drogue, à la criminalité voire même la mort.

J’ai l’impression qu’on nous considère à un certain degré comme des machines, parce qu’une machine ne va jamais avoir d’émotions. Dans ma vie, je ne me suis jamais senti comme je me sens en ce moment : c’est pas top. J’ai été confronté à beaucoup de choses, beaucoup d’émotions que je n’avais ressenties auparavant. Je n’arrivais pas à l’expliquer parce que c’était nouveau pour moi. Et là, on nous dit qu’un mineur peut s’en sortir tout seul, parce que c’est un garçon… Non.

Habitué à voir des hommes à la rue

À force de voir tout le temps des hommes à la rue, j’en suis arrivé à un point où je trouve ça normal. La dernière fois, avec une bénévole, on a couru vers La Chapelle et on a vu des personnes qui se droguaient dans la rue avec des seringues. J’avais déjà vu ça dans des films. Ils étaient juste là, allongés à même la terre, il faisait froid et il pleuvait : ça m’a fait mal…

Si quelqu’un est à la rue, je dois me sentir concerné… Surtout que moi-même, je suis presque dans la même situation. J’ai fait quelques recherches pour voir le nombre de personnes qui mourraient dans la rue, et j’ai trouvé un article du Parisien publié en 2019. Je m’en souviens, ça m’a marqué. 612 SDF sont morts en 2018 : des hommes, pour la plus grande majorité, et 13 mineurs isolés. S’ils avaient été pris en charge, il y aurait peut-être un autre résultat !

Je veux aider mes frères

J’ai peur que ça puisse m’arriver aussi : je suis en train de grandir, et bientôt je serai majeur. Si je me retrouve à la rue, qu’est ce qu’on fera pour moi ? Ça m’arrive de temps en temps d’y penser. Les personnes autour de moi ne cessent de me répéter « ça va aller, mais t’inquiète pas, on va toujours trouver une solution ». Mais je sais pas, c’est quand même quelque chose à laquelle je pense beaucoup. C’est pour ça que j’espère finir mes études assez vite, pour pouvoir me prendre en charge tout seul.

Aujourd’hui, je suis dans un lycée professionnel. Après mon bac, je serai en mesure de travailler. Je veux aider mes frères. Pour qu’on soit en mesure de vivre une vie de personnes de notre âge.

Raël, 17 ans, lycéen, Paris

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