Christophe M. 11/09/2023

5/5 Des « miss » pour 10 euros

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Quand on n’a jamais eu d’argent, ne pas le dépenser c’est facile, nous explique Christophe. Mais le gagner du coup, c’est primordial, et pour ça, quand on est mineur, tous les moyens sont bons. Lui, il livre de la drogue dans les beaux quartiers pour mettre un peu d’argent de côté.

Dans mon quartier, mes potes et moi, on fait des « miss » pour gagner de l’argent. « Miss », c’est le diminutif de « mission ». Ça consiste à livrer de la beuh, du shit ou de la coke à des clients, directement à leur domicile. On prend le métro, le bus, un Vélib’ ou d’autres moyens de déplacement.

Pour chaque pochon de 50 euros, le livreur prend 10 euros. Si j’ai qu’une livrette (c’est le nom qu’on donne à une livraison), je vais prendre qu’un seul pochon. Comme ça, si je me fais prendre, je perds moins de produit.

Un client vite servi = un client content

Au fur et à mesure que la confiance entre le fournisseur et le livreur se met en place, on peut avoir des recharges. Les recharges, c’est le fait de prendre plus de pochetons pour pas perdre de temps en revenant au point de départ. Le temps gagné est énorme, et un client vite servi est un client content qui recommandera notre service à ses amis.

Je me suis jamais fait prendre, mais si un jour ça arrive, je connais les consignes. Je dirai qu’un grand cagoulé m’a forcé à prendre un pocheton, le livrer et lui donner toute la somme, sinon il me tuerait. Je fais mes livrettes entre 12 et 22 heures. Je sors en mode bonnet, jean, Jordan. Il faut être bien habillé.

La transaction se passe rapidement. Je mets le code qu’on m’a donné pour rentrer dans le hall ou j’attends le client dans la rue. Je sors le pocheton, il est généralement dans mon caleçon. Je le mets dans ma poche et quand le client descend, j’ai toujours les mêmes répliques : « Bonjour, ça va ? Désolé pour le temps, tenez *nom de la drogue*. » Je lui donne, il l’ouvre, le sent et me donne l’argent. Ma manière préférée est de le faire en checkant, en « tack tack ».

Livrer, une banalité

En moyenne, je tourne à six livraisons par semaine. Pendant les vacances, je monte jusqu’à huit par jour, ça me suffit à faire mon chiffre. J’ai beaucoup bossé durant celles de Noël. En deux semaines, j’ai beaucoup coffré car comme j’ai jamais eu d’argent, ne pas le dépenser est extrêmement facile. Livrer, c’est devenu banal, c’est très courant dans mon quartier. C’est pas réellement bien payé. Tout dépend du rythme de travail. Ce qui est bien, c’est la flexibilité. C’est toi qui choisis quand tu taffes. Pour commencer à faire ce business, il y a plusieurs manières de faire :

– soit on achète directement une puce avec des clients enregistrés ;

– soit on rejoint quelqu’un qui a déjà une puce ;

– soit on fait sa propre puce.

Ça consiste à trouver des clients en allant les voir dans la rue pour leur proposer des échantillons ou en leur demandant s’ils sont intéressés. La plupart du temps, les clients viennent de lieux « riches » et n’ont pas de quoi se ravitailler dans leurs quartiers. Ils vivent aux alentours de Wagram, Asnières, Monceau.

SÉRIE 1/5 – À Rabelais comme ailleurs, le chemin est long et stressant jusqu’au bac, épreuve ultime avant d’affronter l’ogre de Parcoursup pour tenter de s’assurer un avenir. Safi a le sentiment de devoir prendre des décisions pour son futur à l’aveugle, comme si elle achetait un habit sans l’essayer.

Capture d'écran de l'article "Je choisis mon métier sans l'essayer". C'est le troisième article de la série "Rabelais, hors les murs : nos vies, nos récits, nos regards". Sur la photo, ue femme noire avec un chignon a les yeux fermés et la tête posée sur un livre ouvert.

J’ai découvert ces quartiers chics, des immeubles avec une architecture particulière, en allant livrer chez eux. J’avais jamais vu autre chose que le mien. Il y a un four à deux minutes de chez moi. Je vois les clients passer. Ça me tenterait bien d’être guetteur là-bas, mais ma maman a beaucoup de connaissances, de tatas, d’amies qui y vivent. Ce lieu étant réputé pour ça, je serais rapidement cramé.

Christophe, 15 ans, lycéen, Île-de-France

Crédit photo Pexels // CC Armin Rimoldi

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