Safi A. 11/09/2023

1/5 Je choisis mon métier sans l’essayer

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À Rabelais comme ailleurs, le chemin est long et stressant jusqu'au bac, épreuve ultime avant d'affronter l’ogre de Parcoursup pour tenter de s’assurer un avenir. Safi a le sentiment de devoir prendre des décisions pour son futur à l’aveugle, comme si elle achetait un habit sans l’essayer.

Je trouve ça difficile de choisir son orientation à 15 ans. À cet âge, on ne sait pas trop ce qu’on veut faire. Pourtant, je suis obligée de choisir ma voie, et ça m’inquiète. Je sais déjà que si je me trompe, ce sera difficile de me réorienter. J’aimerais qu’on ait plus de temps. Le premier choix c’est en troisième, le deuxième en seconde, le suivant viendra vite. Un choix par an qui engage notre avenir… c’est difficile.

J’ai peur de rater ma vie, de ne pas avoir de travail plus tard, de ne pas construire mon avenir. On me répète sans cesse que je dois le préparer, mais j’ai l’impression d’avoir les yeux fermés pour faire ça.

Dans ma vie, à part à l’école, je n’ai encore fait aucun choix. En troisième, je n’étais pas entraînée. Cette année pas tellement plus. Du coup, on fait des choix par rapport à des choses qu’on ne connaît pas. C’est bizarre comme sentiment.

Pour commencer, j’ai dû choisir entre aller en pro ou en générale. Ma principale voulait que j’aille en pro ou que je redouble, mais mon prof de maths m’a aidée et a convaincu tout le monde de m’envoyer en lycée général. Il était gentil, lui. Il prenait le temps de nous expliquer. C’est rare les profs comme ça. L’année prochaine, je vais faire une première technologique, parce que le lycée général c’est trop dur pour moi. On me l’avait souvent dit : « T’es pas capable. »

Qui pour m’aider à choisir ?

À la maison, personne ne peut vraiment m’aider. Ma mère ne travaille pas et mon père est éboueur. Mon frère a 18 ans, il fait électricité, mais je ne sais pas comment il a choisi ça. On n’en parle pas.

En troisième, il y avait eu un forum des métiers. J’y avais rencontré un architecte qui ne nous parlait que de ses études et pas de son métier ; une dame qui travaille à la pharmacie qui nous répétait qu’il ne fallait pas redoubler dans les études ; et des profs de lycée hôtellerie-restauration. Eux, j’ai bien aimé comment ils racontaient, mais dans la restauration il y a du porc et de l’alcool, donc je ne peux pas y aller. En plus, mon père m’a déconseillé ; il a travaillé en cuisine avant d’être éboueur à la mairie de Paris.

SÉRIE 2/5 – Ce qui nous a frappé·es en rencontrant les jeunes du lycée Rabelais, c’est à quel point nombre d’entre elles et eux s’inquiètent pour l’avenir. Et pour cause : la grande majorité s’inquiète déjà pour la fin du mois. Gor et sa mère ont connu la rue et les hôtels sociaux en arrivant d’Arménie.

Capture d'écran de l'article "Aujourd'hui, je vis bien". C'est le deuxième article de la série "Rabelais, hors les murs : nos vies, nos récits, nos regards". Sur la photo, des tentes recouvertes de bâches bleues et de cartons sur un trottoir. Derrière, des immeubles et un arbre.

En ce moment, c’est surtout ma prof principale qui m’aide. Elle connaît bien les métiers ! Elle m’a organisé un mini stage en première pour que je me fasse mon idée. J’ai aussi parlé avec une prof de biochimie. Même avec ça, je ne suis pas sûre de moi.

J’ai dit que je voulais faire manipulatrice radio dans le médical car ma tante, qui est infirmière à l’hôpital de Sarcelles, m’a dit que c’était bien, qu’il n’y avait pas trop d’études, et qu’à 23 ans je pourrai commencer à travailler. Je n’ai jamais rencontré de manipulatrice radio, alors je fais confiance à ma tante, parce que cette filière existe dans mon lycée et que je suis impatiente d’être indépendante.

On nous demande de faire des choix de métier sans vraiment savoir. C’est un peu comme si on devait acheter des habits sans pouvoir les essayer.

Safi, 15 ans, lycéenne, Paris

Crédit photo Pexels // CC Favour Concepts

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