Rayan V. 11/09/2023

3/5 Les jeunes des pavillons et nous

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Nombreux sont les élèves du lycée Rabelais qui nous ont parlé de leur territoire : leur quartier, celui dans lequel ils ont grandi, celui auquel ils sont férocement attachés. Rayan raconte comment il a grandi dans un quartier divisé entre jeunes des bâtiments et jeunes des pavillons, deux mondes totalement opposés.

J’ai grandi dans une ville assez aisée, une ville du 78 nommée La Celle-Saint-Cloud. Souvent quand on parle du 78, on se dit que c’est là où vivent les riches, mais il y a plusieurs endroits où l’on retrouve ce côté « quartier ». Et là où j’habitais, c’est exactement ça. À l’école, on était tous mélangés, les jeunes des pavillons et nous. Moi, je vivais au dernier étage d’un bâtiment et eux, dans des grandes maisons avec jardin, plusieurs étages juste pour eux, et même parfois une piscine privée. Mais quand on était petits, on ne prêtait pas trop attention à ça.

En grandissant, on a commencé à se diversifier par rapport à l’éducation que nous avions reçue. Au collège, ça a formé une sorte de « ségrégation territoriale » entre les pavillons et nous. D’abord parce que dans la ville, il y a deux collèges différents. Le mien s’appelait Victor Hugo et le leur Pasteur.

J’ai toujours pensé que j’allais aller dans un bon collège jusqu’à ce que je lise les avis sur Google : « Collège où le niveau est très bas » ; « Je déconseille ce collège à tout le monde » ; « Collège à fuir ! Essayez Pasteur. » Leur collège à eux avait un niveau bien au-dessus du nôtre et que des bons avis sur internet. Avec eux, on ne se mélangeait plus trop, mais nous n’étions pas non plus dans une guerre.

Le côté familial du quartier

Les enfants des pavillons étaient peut-être dans le meilleur collège, mais leur territoire à eux n’était vraiment pas intéressant ! Les maisons prenaient toute la place et il n’y avait rien à faire. Nous, on avait plein d’endroits cools, comme la place Bendern avec sa devanture qui ressemble à l’entrée d’un château, ses deux boulangeries, son supermarché, son barber shop, sa boucherie, son tabac, sa pharmacie et son parking. En plus, sur cette place, il y a plein de plots où l’on peut se poser pour discuter. Dans notre quartier, on a aussi un city stade où l’on peut jouer au foot et au basket.

On vit peut-être dans des appartements d’un seul étage et sans jardin, mais on a quelque chose qu’eux n’ont pas : le côté familial de notre quartier. Et les souvenirs qu’on se crée tous ensemble, comme la fois où les Grands ont organisé un barbecue au city stade pendant l’été. Ils avaient presque vidé la boucherie de la place pour pouvoir nourrir tout le quartier ! On a fait des matchs de foot et ça a fini en bataille d’eau, dans une super ambiance !

Deux mondes dans un seul groupe

Les jeunes des pavillons enviaient le lien qui nous unissait tous, alors ils ont commencé, en fin de cinquième, à venir traîner avec nous et à essayer de s’intégrer. La première fois, c’était quand on était allés manger au McDo du centre commercial Parly 2. Avec mes potes, on les a croisés et on leur a dit de venir avec nous. Cet aprèm-là, c’était un peu le choc des mondes. Nous, on parlait un peu vulgairement, eux, ils parlaient avec un langage soutenu. Pendant cette sortie, on a aussi vu la différence d’argent : nous, on mangeait un menu pour deux, alors qu’eux, ils avaient les moyens de se payer deux menus pour un !

SÉRIE 4/5 – Plusieurs jeunes nous ont raconté leur arrivée en France, la violence du choc culturel, la sensation de déracinement, et la difficulté à se faire une place quand on n’a pas les codes. Rosa culpabilise presque de se sentir bien à Paris, loin de son Cambodge natal.

Capture d'écran de l'article "L'autre moitié de ma vie". C'est le troisième article de la série "Rabelais, hors les murs : nos vies, nos récits, nos regards". Sur la photo, une jeune fille regarde le ciel depuis le hublot d'un avion.

Petit à petit, on a commencé à traîner ensemble. On jouait au foot. Quand on sortait, on les invitait. On avait même un groupe Snap en commun ! Du coup, ils ont vu que l’ambiance était bien meilleure que dans leurs pavillons. On a organisé un tournoi de foot avec trois autres villes. Évidemment, on a gagné et on est tous allés manger au grec pour fêter la victoire. Ce jour-là, j’ai commencé à sentir qu’il n’y avait plus de distinction entre les deux « camps » et que nous étions un seul et même groupe.

Malheureusement, j’ai déménagé et aujourd’hui, je ne parle régulièrement qu’à très peu de ces potes. N’empêche que si j’y retourne, je serai toujours reçu de la même façon dans mon quartier. Mais plus tard, je me vois quand même vivre loin de l’environnement dans lequel j’ai grandi : j’aimerais être riche et avoir un pavillon pour ma femme et mes enfants.

Rayan, 15 ans, lycéen, Saint-Ouen

Crédit photo Unsplash // CC Marcus Lenk

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