Bob H. 27/06/2022

3/5 Maltraité par ma famille d’accueil

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Placé à son arrivée en France, Bob a tenté de dénoncer ce qu’il se passait dans sa famille d’accueil, mais personne ne l’a cru.

Quand je suis arrivé en famille d’accueil, les jeunes ne m’ont rien dit sur ce qu’il se passait. Et quand d’autres sont arrivés après moi, le foyer m’a dit de ne pas « raconter nos conneries sur la dame ». Ils ne nous croyaient pas.

Je suis arrivé en France depuis la Côte d’Ivoire. J’ai été envoyé par la police dans un foyer pour mineurs. Là-bas, il n’y avait plus de place, mais il y en avait en famille d’accueil. Quand on a reçu la nouvelle, l’éducateur a décidé de m’accompagner. En cours de chemin, il m’a dit que c’était une bonne famille. Quelques heures plus tard, on est arrivés.

Comme une famille

La dame était gentille. Elle m’a présenté à toutes les personnes qui vivaient à la maison. On était sept jeunes au total. Certains venaient aussi d’arriver en France, comme moi. J’étais heureux d’être là. La première semaine, elle nous faisait de bons repas. Elle nous demandait ce qu’on voulait manger. Elle le préparait et elle mangeait à table avec nous. On était tous comme une famille.

Mais, quelques semaines plus tard, la dame de la maison a commencé à être bizarre. Je me rappelle un moment en particulier. Elle a préparé du riz blanc dans lequel elle a mis un cube, du sel, de l’huile, et fini. On en a mangé pendant quatre jours. Le cinquième jour, je lui ai demandé pourquoi on mangeait ça depuis quatre jours. Elle ne m’a pas répondu.

Des cris de 6 à 9 heures

Plus tard, nous les jeunes, on a décidé d’appeler le foyer pour en parler. La dame nous a demandé pourquoi on les avait appelés. On a répondu que c’était pour le repas. Là, elle a commencé à nous insulter. Elle a dit que, dans notre pays, il n’y avait pas à manger, et qu’on était venus en France pour cette raison. D’après elle, on devait être fiers de manger du riz parce que, chez nous, on n’avait pas de quoi manger… Après avoir parlé au foyer, ça a changé… mais pas ses règles.

Le matin, elle venait à 6 heures. Elle criait : « RÉVEILLEZ-VOUS ! » Même le dimanche ! Elle disait que c’était le foyer qui lui demandait de nous réveiller tôt. Alors qu’ils lui ont seulement dit qu’on était obligés de quitter à 9 heures. Chez elle, c’était comme chez les militaires : elle criait pendant trois heures, entre 6 et 9 heures.

Quand on faisait le ménage, elle venait pour contrôler. À chaque fois, elle frottait son doigt sur le carreau pour vérifier. S’il y avait juste une petite poussière, elle nous demandait de recommencer à zéro. Elle pouvait faire ça trois fois de suite. Selon elle, c’était pour nous apprendre à faire le ménage… Et aussi parce qu’il ne fallait pas qu’on abîme sa maison. Elle disait que, d’où l’on vient, on ne vivait pas dans des maisons comme ça.

Je ne me sentais pas chez moi

Au début, à mon arrivée, elle m’a dit : « On se lave une fois par jour. » À un moment donné, elle trouvait qu’on prenait trop de temps pour se doucher. Donc, elle a dit : « Maintenant, à partir de 8 h 30, je coupe l’eau. » Un matin, je suis allé à la douche à 8 h 15 pour me laver. Et, quand j’étais en train de me doucher, elle a coupé l’eau. J’avais encore du savon partout ! Alors, je lui ai demandé pourquoi elle avait coupé l’eau : « Il est 8 h 30. » Il était 8 h 20. Je lui ai dit : « Il faut regarder ta montre. » Mais elle m’a dit : « 8 h 20 – 8 h 30, c’est pareil. »

Série 4/5 Petite, Victoire a vu défiler les enfants placés chez elle. Un quotidien qu’elle n’a pas choisi, et dont elle ne garde pas de bons souvenirs.

En bas de l'image, une jeune allongée regarde au dessus d'elle. Trois vignettes montrent une main qui scrolle sur un téléphone, une main qui attrape une peluche et un câlin.

À ce moment, j’ai dû appeler le foyer pour qu’ils la rappellent et qu’elle remette l’eau. C’est là qu’ils ont compris qu’on disait la vérité. Le foyer nous a enlevés de la famille d’accueil et nous a envoyés dans un foyer. Après avoir passé deux mois dans cette famille d’accueil, on était tous heureux de quitter cet endroit. Je ne me sentais pas chez moi. Aujourd’hui, je suis toujours au foyer. Et je n’ai plus de problèmes : les éducateurs sont gentils et respectueux.

J’ai vécu ça comme de la maltraitance. Je ne sais pas pourquoi elle s’est comportée comme ça avec nous. Peut-être qu’elle nous trouvait différents. Nous, on la considérait comme notre maman, mais peut-être qu’elle ne nous considérait pas comme ses enfants.

Bob, 17 ans, lycéen, Paris

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Enfants placé·es, enfances abandonnées

Emmanuel Macron l’a promis avant sa réélection, la protection de l’enfance sera au cœur de son 2e quinquennat. Promesse entendue : huit associations lui ont envoyé une lettre ouverte pour lui rappeler tout le travail qu’il reste à faire, en France, dans ce domaine.

En 2019, 312 500 mineur·es et 24 700 jeunes majeur·es ont été suivi·es par la protection de l’enfance. Les trois-quarts des assistantes familiales partiront à la retraite d’ici dix ans, alors que le nombre d’enfants placé·es augmente.

Que deviennent ces enfants, une fois grand·es ? 

70 % des jeunes de l’ASE (aide sociale à l’enfance) sortent du système scolaire sans le moindre diplôme. Un quart des personnes sans domicile fixe nées en France sont d’ancien·nes enfants placé·es.

Les militant·es des droits de l’enfance se battent contre les « sorties sèches ». Pendant longtemps, les enfants de l’ASE cessaient brutalement d’être pris·es en charge le jour de leurs 18 ans. Depuis la loi Taquet du 7 février 2022, la prise en charge par l’ASE est étendue jusqu’à 21 ans (et encore, sous conditions !).

Paroles d’enfants placé·es

Rania Kissi et Lyes Louffok sont passé·es par le système, et militent désormais pour la cause des enfants placé·es. Devenue pupille de la Nation après avoir été abandonnée par son père, elle est aujourd’hui élue à Cergy. Lui raconte son histoire dans un livre et intervient régulièrement dans les médias.

Dans son album Entre ciment et belle étoile, la rappeuse Keny Arkana évoque son passé d’enfant placée, de ses fugues aux mauvais traitements infligés par l’Institution.

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