Adama T. 19/09/2022

2/5 Mes premiers pas en France, à la rue

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En arrivant ici, Adama ne s’attendait pas à vivre sous une tente, ni à devoir se terrer dans le métro pour échapper au froid. 

Avant d’arriver à Paris, je m’imaginais quelque chose d’un peu mieux. J’espérais pouvoir continuer mes études et suivre une formation. Je pensais qu’on allait m’héberger et que je pourrais vivre comme les gens normaux. Jamais je n’aurais pensé que des personnes dormaient dehors, dans la rue, en plein Paris.

Le jour où je suis arrivé en France, au mois de novembre 2021, je suis allé au Demie (dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers). J’ai présenté mon acte de naissance mais on a refusé de reconnaître ma minorité. La personne qui m’a évalué a dit que j’étais trop grand de taille (je fais 1m84).

Ils m’ont mis une nuit à l’hôtel, et le lendemain ils m’ont dit que c’était fini, qu’il fallait que je parte. Je n’avais pas le droit de rester là-bas car c’était l’hiver. J’ai demandé pourquoi. Ils m’ont répondu que c’était comme ça ici. On m’a mis dehors.

Dormir dans la rue

J’ai d’abord dormi dans les transports, comme dans le métro ou le bus, mais c’était impossible de continuer comme ça. Je ne dormais pas trop, j’étais vraiment en manque de sommeil. J’avais même les yeux rouges. À un moment, j’ai failli tomber dans le métro et les gens me regardaient bizarrement. Ils pensaient peut-être que j’étais un saoulard. C’était un peu triste pour moi, mais je me moquais de ce que les gens pensaient. Personne n’avait idée de ce que je vivais.

C’est comme ça que j’ai commencé à dormir dans la rue. Je me suis retrouvé avec plein d’autres jeunes, et je me suis fait plein d’amis. Pendant la journée, on prenait le métro et on faisait des va-et-vient. Il faisait moyen froid dans le métro, car c’était le temps de l’hiver. Je dormais dans des tentes données par Utopia 56, une association qui aide les jeunes mineurs isolés qui dorment dehors. C’était à la Butte-du-Chapeau-Rouge, dans le 19ème arrondissement de Paris. « Notre hôtel cinq étoiles », comme disait mon meilleur pote, que j’ai connu à la rue.

Des conditions vraiment horribles

Quand on dort sous une tente, on a peur car on se dit qu’à tout moment quelqu’un peut venir nous agresser. Même quand tu te couches, tu ne peux pas dormir car tu vois des gens qui passent. Il y avait des jours où il faisait trop froid, c’était impossible de dormir. Dans ce cas, on était obligés de rester éveillés ou on partait prendre le métro pour rester un peu au chaud. 

Le plus dur pour moi, c’était de rester sans pouvoir prendre de douche, c’était vraiment terrible. Il y a une association qui s’appelle Coucou Crew à porte d’Aubervilliers. C’est un accueil de jour où on peut aller, rester, prendre une douche, faire le linge… J’y allais tous les jours, mais il y avait plein de jeunes, du coup on ne pouvait pas se laver ou faire sa lessive tout le temps. Pour manger, il y avait des associations comme les Restos du Cœur qui nous distribuaient de la nourriture tous les jours, mais juste le soir. Le midi, je prenais juste des goûters à Coucou Crew : des chips ou des gâteaux. 

J’ai raté la mise à l’abri

À un moment donné, j’étais vraiment désespéré à cause du fait de dormir dehors, de ne pas avoir de logement. En plus, il pleuvait, il faisait super froid. Au bout d’un mois et demi, il y a eu une évacuation à la Butte-du-Chapeau-Rouge. J’ai raté l’évacuation parce qu’il faisait trop froid, alors je suis parti dormir dans le métro. Quand je suis revenu, il n’y avait plus rien. Du coup, j’ai contacté Utopia 56 et ils m’ont dit que tous les gens qui avaient été évacués avaient été logés. Et qu’il n’y avait plus de place pour moi. Alors, ils m’ont dit qu’ils allaient m’envoyer dans une famille d’accueil.

SÉRIE 3/5 – Seul, Ahmed ne savait pas vers qui se tourner quand il est arrivé à Paris. Heureusement, il a fait une rencontre qui a tout changé.

capture d'écran de l'article "une inconnue m'a aidé" illustré par un dessin : la scène se passe à un angle de rue. On voit Ahmed assis au sol avec une femme âgée qui lui prends la main. A côté d'eux se trouve une voiture de police.

Le lendemain, ils m’ont envoyé dans une famille à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis). Aujourd’hui, ça fait plus de trois mois que j’habite là-bas. Tout va à merveille, on s’entend bien. Je ne sais pas jusqu’à quand je vais rester là-bas. Je n’ai toujours pas de nouvelles de mon recours auprès du juge des enfants pour avoir mon statut de mineur isolé et pour être placé à l’ASE (aide sociale à l’enfance).

Grâce à une bénévole d’Utopia, je suis à l’école aujourd’hui. Je prépare un CAP menuiserie-aluminium pour l’année prochaine à la MLDS (mission de lutte contre le décrochage scolaire). Ça me rassure pour mon avenir, car maintenant j’ai un projet sur lequel je vais pouvoir me concentrer. 

Adama, 16 ans, lycéen, Paris

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)

Parcours migratoire : de l’insécurité à l’instabilité

Près de 5 000 personnes meurent chaque année en fuyant leurs pays, sur la route d’une vie meilleure. Les chiffres officiels sont difficiles à obtenir, mais l’ONU compte plus de 45 400 morts entre 2014 et 2021. Sur la seule journée du 24 juin 2022, au moins 27 Africain·es ont été tué·es par la police marocaine en voulant rejoindre l’Espagne. Les témoins parlent d’un déchaînement de violences de la part des autorités.

 

Une fois de l’autre côté de la frontière, les nouveaux et nouvelles arrivant·es ne sont pas certain·es de trouver une vie stable. Précarité, travail non-déclaré, arbitraire policier, enfermement Le chercheur Stefan Le Courant a étudié la condition des sans-papiers en France.

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