Grâce à mes papiers, j’ai enfin pu me projeter
Au Kosovo, quand j’étais jeune, parler de l’Europe, de la France, de la Belgique, de l’Allemagne, ça faisait rêver beaucoup de gens… On entendait que c’était comme marcher sur de l’or. Je suis arrivé en France avec mes parents, mes trois frères et ma sœur en 2010.
J’avais 12–13 ans. Même si la guerre était finie, il y avait des problèmes graves, comme du racisme et des violences contre les Serbes. Alors on a fui. On avait peur pour nos vies.
On est arrivés à Reims. Je me souviens : on était à la gare, on a demandé à une personne où était la préfecture, on pensait qu’on s’était perdus. Là-bas, ils nous ont mis dans un local. On y est restés un jour. Le lendemain, on a été expulsés. Des policiers sont venus, ils nous ont mis des menottes et nous ont emmenés. Ils voulaient qu’on reparte dans notre pays.
On est restés au poste de police, on a dormi là et puis on est retournés à la préfecture. On a été transférés à Châlons-en-Champagne, il y avait un Cada (centre d’accueil de demandeurs d’asile), puis on a été transférés à Troyes. On nous a refusé le statut de réfugié parce que la guerre était finie. Nous nous sommes donc rendus à la Croix-Rouge. On n’avait pas d’argent, même pour payer le bus. On a été logés dans un foyer du Cada dans un appartement où on vivait à sept.
Ils pensaient que j’étais avec elle pour les papiers
À mes 15 ans, je suis entré au lycée. Ç’a été dur pour moi de comprendre, d’apprendre et d’évoluer. Malgré tout ça, je me suis battu, je n’ai rien lâché, j’ai réussi mes diplômes : j’ai un CAP peintre et un CAP plaquiste. Puis un jour, au lycée, je suis tombé amoureux d’une Française. J’avais peur d’aller lui parler à cause de mon français. Mais j’ai pris sur moi et, avec le temps, on s’est rapprochés de plus en plus.
Depuis octobre 2015, le Kosovo fait partie des « pays sûrs » selon l’Ofpra, ce qui rend plus compliqué les démarches des Kosovars pour être reconnu comme réfugié. À l’époque, Le Monde avait décrypté les dessous de cette décision politique.
Les Kosovars auront plus de difficultés à demander l’asile en France http://t.co/tmQkT8RbUP pic.twitter.com/PrSeYnmVp7
— Le Monde (@lemondefr) October 9, 2015
C’était mon premier vrai amour. Je l’ai regardée dans les yeux et je lui ai dit : « Je ne te quitterai JAMAIS, pour rien au monde. » Jusqu’au jour où ses parents ont appris qu’on était ensemble. Ils pensaient que c’était pour les papiers. Alors j’ai dit à mon amoureuse qu’on ne se fiancerait pas, qu’on ne se marierait pas, qu’on n’aurait pas d’enfants tant que je n’aurais pas les papiers.
Aujourd’hui, j’ai deux enfants et un travail
Je suis resté sans papiers jusqu’à mes 20 ans. Ça été très long, très dur. Je partais en dépression. Heureusement, j’avais ma famille et ma copine pour me soutenir. Je me suis relevé. J’ai eu ma carte de séjour. J’ai pu commencer à travailler. Ma conseillère m’a trouvé un emploi avec la Régie Services pour les espaces verts.
Ce récit est un extrait de notre livre Vies Majuscules – Autoportrait de la France des périphéries, aux éditions Les Petits Matins. Loin des clichés, c’est la France des invisibilisé.e.s qui se raconte. Disponible en librairie le 1er octobre.
Depuis, ma vie a commencé à prendre sens. Aujourd’hui, avec ma femme, j’ai deux enfants, j’ai mes papiers et un travail. Franchement, aujourd’hui, je marche sur de l’or.
Severdjian, 30 ans, salarié, Troyes
Crédit photo Unsplash // CC Mahdi Dastmard
Bonjour ! Nous ne pouvons malheureusement pas te donner le contact de Severdjian puisque nous garantissons l’anonymat aux jeunes lorsqu’ils ou elles publient chez nous.
L’équipe de la ZEP
Bonjour, comment contacter l’auteur de l’article svp?