J’ai marché onze mois pour venir en France
Je m’appelle Zakurdin, je viens d’Afghanistan. Plus précisément d’un village à proximité de Kaboul : Paghman. Là-bas, je suis allé à l’école jusqu’à 12 ans. En même temps, je travaillais avec mon père dans un supermarché à Kaboul. En 2018, je suis parti car les talibans attaquaient régulièrement mon village. Ils attaquaient les postes de sécurité et il y avait des coups de feu la nuit. Ils voulaient s’en prendre aux familles où il y avait des membres de l’armée afghane. Il n’y en avait pas dans la mienne, mais on avait quand même peur.
J’ai donc quitté l’Afghanistan pour l’Iran à pied et en voiture. J’ai surtout marché. J’étais accompagné d’un groupe de personnes qui suivaient le même itinéraire à pied que moi. Je ne les connaissais pas, mais on marchait ensemble. Il n’y avait aucun membre de ma famille.
Certains sont morts en chemin
Il y avait majoritairement des hommes afghans et pakistanais, mais aussi des familles. À cause de la fatigue, certaines personnes sont mortes en chemin et on recouvrait leurs corps. C’étaient des personnes qui avaient déjà des maladies avant et qui n’ont pas supporté le trajet. J’étais choqué. Comme toutes les personnes qui assistaient à ces scènes.
Je ne pensais pas que j’allais m’en sortir vivant. Je dormais à même le sol. Pour me nourrir, je mangeais mes provisions de biscuits, je buvais l’eau que je trouvais en chemin et je remplissais ma bouteille. Mon premier objectif était de sortir de l’Afghanistan. Mon père était en contact avec quelqu’un qui pouvait m’emmener en Turquie. Il a payé 1 100 dollars.
Je ne pouvais pas passer par la frontière iranienne à cause de la police, alors je suis passé par les régions montagneuses du Pakistan. J’ai mis vingt-six jours pour atteindre l’Iran. Quand je suis arrivé, la personne que mon père connaissait m’a aidé à aller en Turquie. J’ai mis deux mois, en voiture et en marchant. Dans les voitures, on pouvait être jusqu’à vingt personnes.
Deux mois de prison pour avoir franchi les frontières
Je suis resté une semaine en Turquie. Je suis parti d’Istanbul à Izmir. À Izmir j’ai pris un bateau de fortune jusqu’en Grèce. Dès que je suis arrivé là-bas, la police est venue et ils m’ont mis directement en prison pour entrée illégale. J’y suis resté pendant deux mois, le temps qu’ils prennent en charge mon dossier. Après les deux mois, ils ont pris mes empreintes et ils m’ont donné un justificatif pour aller à Athènes. Mais après avoir parlé avec des gens, j’ai compris qu’en Grèce, il n’y avait pas beaucoup d’opportunités professionnelles. Je voyais beaucoup de gens fumer et dormir dans des parcs… C’est pour ça que je suis allé à la frontière macédonienne avec le train et ensuite j’ai marché.
En m’arrêtant en Macédoine, la police m’a renvoyé en Grèce. Je suis donc repassé par la Macédoine, sans m’arrêter cette fois, en allant directement en Serbie. Cette fois, j’ai traversé la Macédoine à pied pour éviter les contrôles de police. J’ai mis trois mois pour arriver en Serbie en passant par des régions montagneuses. J’étais avec des personnes de différentes nationalités : il y avait des Iraniens, des Turcs, des Pakistanais. On marchait la nuit pour éviter la police et on dormait le jour près des arbres.
Arrêté par la police en arrivant en Italie
En Serbie, mon père m’a appelé pour me dire qu’il n’avait plus d’argent à me passer. Je suis resté là-bas presque un mois et j’ai été pris en charge par une association qui accueille les réfugiés. Ensuite, j’ai suivi mon ami qui s’est caché dans un camion en direction de l’Italie. On a passé dix jours dans un camion avec nos provisions de nourriture et d’eau. On est sortis du camion quand il est arrivé dans un entrepôt. Là-bas, la police nous a arrêtés. Elle nous a mis les menottes et, arrivés au poste de police, j’ai pu manger et me laver. Ensuite, ils ont pris mes empreintes et ils m’ont dit que je pouvais rester sur le territoire italien ou partir.
Mukhtar Mohamed a fui la guerre en Somalie, Mamadou est arrivé de Guinée-Conakry pour soigner sa tuberculose, Alexandra a échappé à l’esclavage au Mali et Anas a débarqué du Maroc pour obéir à l’injonction familiale. Ces quatre adolescent·es ont traversé les frontières malgré les dangers.
Je leur ai dit que je voulais rester car je n’avais pas d’argent pour aller en France. Mon ami, lui, a décidé de partir à Paris. J’en ai parlé à mon père et il m’a envoyé 200 euros pour que je puisse aussi y aller. J’ai donc payé un Afghan qui connaissait l’itinéraire à pied : je lui ai donné 150 euros. Je suis allé de Vintimille jusqu’à Nice. De Nice, j’ai pris le train en fraudant jusqu’à Paris. C’est là que j’ai rejoint un ami de mon village qui habite ici. Il m’a hébergé et j’ai pu commencer à demander l’asile.
En arrivant, j’étais soulagé. Je me suis dit que mon périple allait enfin s’arrêter. Aujourd’hui, je veux un diplôme pour travailler et faire venir ma famille. Je ne regrette pas d’être venu en France. Par contre, je ne referai pas un tel voyage. J’ai eu beaucoup de problèmes en venant. C’est pourquoi je me suis arrêté ici.
Zakurdin, 22 ans, en formation, Paris
Crédit photo Hans Lucas // © Rafael Yaghobzadeh
5 millions
C’est le nombre d’Afghan·es qui ont dû quitter leur pays à cause de la guerre en vingt ans.
En 2001, les États-Unis envahissent le pays, officiellement pour « lutter contre le terrorisme » après le 11-Septembre. Les soldat·es américain·es reprennent le pouvoir aux talibans qui dirigeaient le pays depuis 1996. Dans les années 2010, les talibans gagnent du terrain, jusqu’à négocier un accord pour que les Américains quittent l’Afghanistan en 2021.
Depuis, les talibans ont repris le pouvoir. En un an, les droits humains ont considérablement été bafoués dans le pays, et plus de 600 000 Afghan·es ont fui vers d’autres territoires.