Rosa S. 11/09/2023

4/5 L’autre moitié de ma vie

tags :

Plusieurs jeunes nous ont raconté leur arrivée en France, la violence du choc culturel, la sensation de déracinement, et la difficulté à se faire une place quand on n'a pas les codes. Rosa culpabilise presque de se sentir bien à Paris, loin de son Cambodge natal.

Sous mes pieds, le Cambodge disparaît. Onze heures à passer dans une chaise qui vole vers l’autre moitié de ma vie. Quatorze ans qui s’éteignent et ma première fois dans un avion. Je suis toute seule avec mon frère de 9 ans et une amie de ma mère.

Pour aller à l’aéroport, deux voitures nous suivent comme si on était une rame de métro. Toute ma famille m’accompagne pour la dernière fois. À chaque distance que la voiture parcourt, j’essaie de calmer mes émotions. C’est impossible que je pleure devant eux et dans un espace public. On est en retard pour le check-in. Je suis contente et prête pour rater l’avion. Je veux rater l’avion…

J’ai ma famille derrière le dos

Hier, dans ma classe, je ne pouvais pas me concentrer. Je savais que je devais dire mes derniers mots et mes au revoir. J’avais les mains sur mon visage, caché pour masquer les émotions qui débordaient entre les petits espaces de mes doigts. Des câlins et des cris venaient de partout, je sentais des gouttes sur mon dos comme le temps glacial. Maintenant, j’ai ma famille derrière le dos.

Sans rien dire, sans câlin, pas un mot. Je monte dans l’ascenseur et… je pleure… Je tremble comme un chat abandonné pendant l’hiver. Mon siège est tout à l’arrière de l’avion. L’espace pour les pieds est bien grand. À travers le rideau, je vois les gens de business class avec des verres de champagne et le choix entre un pain au chocolat ou un croissant. Quelle envie ! Mais ce n’est pas grave, je vais les avoir dans onze heures, les croissants originaux de Paris. Mieux que ceux de la business class.

Deux mois plus tard, je suis en quatrième C au collège Georges Clémenceau, à côté de la rue Marcadet, Paris 18e. Je ne me sens pas à l’aise. Les gens de ce pays sont audacieux et extravertis. Je ne les connais pas mais ils me parlent comme s’ils étaient mes amis de l’enfance. À la cantine, je trouve les nourritures vraiment dégoûtantes et les portions minuscules. Les sols des classes sont sales mais heureusement, on peut rentrer dedans avec des chaussures, et pas en chaussettes comme au Cambodge. Puis le temps passe trop vite. Je trouve injuste de passer le brevet comme les autres après sept mois d’étude sans parler couramment le français.

Préférer un autre pays que le mien

Mes connaissances sur les réputations des lycées sont trop faibles pour les mettre sur ma fiche de vœux. J’arrive au lycée Rabelais sans savoir pourquoi. Tout va très vite depuis l’aéroport. Le Cambodge reste un moment nostalgique dans ma tête et il me manque, bien sûr. Mais malgré le petit appartement et des gens qui sont trop agressifs pour moi, je pense que j’ai trouvé ma place.

Peut-être que je constate que mes parents sont plus heureux ici et que je me sens plus à l’aise. Peut-être est-ce parce que la France m’a ouvert ses portes et des possibilités que je n’avais jamais vues avant.

SÉRIE 5/5 – Quand on n’a jamais eu d’argent, ne pas le dépenser c’est facile, nous explique Christophe. Mais le gagner du coup, c’est primordial, et pour ça, quand on est mineur·e, tous les moyens sont bons. Lui, il livre de la drogue dans les beaux quartiers pour mettre un peu d’argent de côté.

capture d'écran de l'article "Des "miss" pour 10 euros". Sur la photo, deux adolescents montent des escaliers avec des murs carrelés: Celui de droite tient un ballon dans les mains. Ils portent des pantalons cargos, des baskets, des sacs à dos, des baskets blanches. Ils ont les cheveux courts.

Peut-être est-ce le fait qu’on peut finalement manger ce qu’on veut, avoir un bac qui est accepté dans le monde entier, faire des études à l’université, même travailler dans d’autres pays et le plus important, avoir un travail stable.

Pour être honnête, je n’arrive pas vraiment à dire pourquoi… Pour moi, c’est encore un sujet sensible. J’ai honte de préférer un autre pays que le mien, mais je sais bien que j’ai trouvé ma place ici. Même si le Cambodge est tatoué sur mon cœur.

Rosa, 18 ans, lycéenne, Paris

Crédit photo Pexels // CC Tim Gouw

Partager

4 réactions

  1. je suis ému carrément la, rosa t’es trop forte

  2. Vraiment très bien raconté . Félicitations Rosa

  3. Je suis à court de mots, merci Rosa pour avoir partagé ça avec nous ❤️

  4. C’est tellement émouvant Rosa merci pour ce témoignage!!!

Voir tous les commentaires

Commenter